L’année prochaine Ethifinance va fêter ses 20 ans et son fondateur Emmanuel de la Ville avait des fourmis dans les jambes. Il est très heureux que son agence de notation ESG ait défriché le terrain de l’évaluation des entreprises petites et moyenne, cotées ou non, en parvenant à grandir et devenir solide alors que les autres agences européennes, concurrentes et compagnes de route, ont été absorbées les uns après les autres. Mais ce bonheur et cet enthousiasme que le pessimisme ambiant n’entame pas, Emmanuel de la Ville veut désormais le mettre au service de sa petite entreprise artisanale. Avec beaucoup d’autres de cette époque pionnière de la notation ESG, il s’interroge sur la possibilité de mobiliser, bousculer, transformer les entreprises directement, et non plus par l’intermédiaire des marchés cotés qui ont structuré une notation ESG qui s’adapte à leurs exigences et perd ainsi de sa capacité à bouger les lignes.
“Non rien de rien il ne regrette rien“, dit Emmanuel de la Ville, tout heureux de renouer avec l’aventure à l’aube de la soixantaine. Il part en très bons termes avec les nouveaux dirigeants du groupe Ethifinance. Élie Hériard-Dubreuil, le président du conseil de surveillance d’EthiFinance qui le côtoyait depuis trois ans souligne son rôle d’inspirateur. Pour lui, “c’est un homme visionnaire, au service de la finance responsable et des ETI, à la personnalité humble et bienveillante“. Emmanuel de la Ville gardera un bureau et continuera de loin à travailler avec l’entreprise qu’il a fait naître. La dernière agence indépendante européenne, spécialiste de la double matérialité reste une alternative au modèle américain que le décollage de la CSRD pourrait aider à consolider.
Un mouvement d’ampleur considérable
Fidèle à son style généreux, Emmanuel de la Ville remercie “tous ceux qui m’ont accompagné et soutenu tout au long de ce parcours de vie entrepreneuriale. Une vie fascinante, au service d’une finance et d’une économie plus responsables, plus soucieuses de répondre aux attentes de toutes les parties prenantes“. Fidèle aux statuts de l’ESS, il part sans “pactole”, soucieux que le capital serve à développer l’entreprise pas son patrimoine personnel.
Les plus jeunes membres de l’écosystème ESG ne connaissent pas ou peu les figures pionnières de la notation ESG qui, il y a une vingtaine d’années, ont lancé un mouvement qui a pris une ampleur considérable. En France il y a eu Geneviève Ferone, Nicole Notat et Emmanuel de la Ville. La première est aujourd’hui associée de Prophil, “entreprise à mission de conseil et de recherche dédiée à la contribution des entreprises au bien commun”, la seconde ne préside plus depuis trois ans l’agence Vigeo Eiris totalement absorbée par Moodys, l’agence de notation financière.
Le départ d’Emmanuel de la Ville tourne aussi la page de la notation ESG qui défrichait le terrain et sensibilisait les entreprises à de nouvelles grammaires sur la mesure de leurs impacts environnementaux et sociaux. La domination américaine des dix dernières années a permis à MSCI de jouer un rôle de premier plan dans la définition des données ESG qui permettent de construire des indices dédiés qui se sont multipliés. Mais aujourd’hui MSCI qui compte environ 1000 personnes dédiées à la notation ESG dans le monde, voit le marché marquer le pas.
Les grandes manœuvres ont commencé sur la normalisation des données ESG opposant l’EFRAG à l’ISSB. Elles vont rebattre la donne et faire émerger de nouveaux acteurs spécialistes de la mesure d’impact, de l’alignement sur la taxonomie en passant par l’analyse de cycle de vie des produits ou le passage à l’économie circulaire. De cette phase qui va voir les entreprises se lancer dans des évolutions majeures de leur business modele, Emmanuel de la Ville espère bien être un acteur actif !■