Publié le 25 janvier 2024
Un petit raz-de-marée se prépare sur le marché des produits électroniques. Le gouvernement prévoit un bonus de 40 euros sur les produits neufs les plus réparables et un malus de 20 euros sur les moins réparables. Reste à savoir si ce dispositif sera assez ambitieux pour pousser les entreprises à plus de réparabilité. 

C’est une petite ligne dans les tickets de caisse mais un projet choc pour la réparabilité. Les produits électroniques les moins réparables pourraient devenir 20 euros plus chers tandis que les plus réparables devraient voir leur prix s’alléger de 40 euros. Sa mise en place est prévue pour juillet 2024 d’après le projet d’arrêté du gouvernement, publié en octobre 2023. Une date que plusieurs lobbys demandent à repousser face à l’ampleur des changements.
Ce système de bonus-malus cible les smartphones, ordinateurs portables, téléviseurs, lave-vaisselles et lave-linges. Avec des montants moitié moins élevés, les aspirateurs, nettoyeurs à haute pression et tondeuses à gazon sont aussi concernés. Il doit s’appliquer à tous les produits de ces catégories qui entrent dans le marché français. Le bonus-malus se base principalement sur lindice de réparabilité, une note de 0 à 10 évaluant la facilité de réparation, déjà visible dans les rayons et sur internet. L’indice de durabilité, autre notation plus complète en préparation devra lui succéder. 
Le but est d’encourager l’achat des produits les plus durables et, indirectement, d’inciter les producteurs à faire progresser la note des produits qu’ils mettent sur le marché. Le dispositif "va faire de la note de l’indice de réparabilité un élément de concurrence accru entre les marques" commentait l’Alliance Française des Industries du Numérique (Afnum) dans la consultation publique ouverte sur le sujet. "C’est une révolution d’avoir des montants à cette échelle", affirme auprès de Novethic Clara Grosjean, responsable environnement de l’Afnum. 

L’"éco-modulation" passe de quelques centimes à 60 euros


Et de fait, ce bonus-malus fait passer à une autre échelle un dispositif existant. Jusqu’ici l’éco-participation avoisinait "les 3 ou 4 centimes pour les smartphones, ce qui est absolument sans effet incitatif", explique à Novethic Vincent Jourdain, chercheur en sociologie économique et spécialiste de l’indice de réparabilité. Avec le nouveau projet du gouvernement, le différentiel entre les bonnes et les mauvaises pratiques s’élèverait à 60 euros. "Je ne pense pas que ce soit un tremblement de terre sur le marché", nuance toutefois le chercheur.
Pour lui, l’effet sera visible surtout au niveau du malus. "Il n’est pas si difficile de passer d’une note de 4 à une note de 7, par exemple en fournissant de la documentation ou en rendant disponible plus longtemps les pièces détachées", précise-t-il. Si c’est un progrès indéniable pour la réparabilité, cela ne change pas la conception même des produits. Dépasser une note de 8 ou 9 pour obtenir un bonus est plus difficile. "Des changements comme le fait de dessouder une pièce d’appareil photo, c’est du long terme", appuie Clara Grojean.
C’est pourquoi l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) alerte sur un "ventre mou du dispositif qui risque de ne pas inciter les fabricants concernés à faire mieux". Selon l’association, plus de la moitié des téléphones portables ou encore des lave-linges à hublot ne seraient concernés ni par le bonus, ni par le malus. L’association défend plutôt "un bonus-malus progressif", d’autant plus que la question des seuils, différente pour chaque catégorie de produit, est délicate. Par exemple, pour les téléphones, le malus frappe les notes en-dessous de 6,9 et le bonus récompense les notes au-delà de 8,2. Or pour les ordinateurs, le bonus s’obtient à partir de 7,5 seulement. "C’est trop bas, sans compter l’abaissement d’un point encore déjà prévu pour le passage à l’indice de durabilité", déplore l’association.

De nombreuses zones de flou


Des zones de flou subsistent. Certaines entreprises pourraient augmenter leurs prix afin de "réinvestir le bonus pour d’autres efforts de durabilité", affirme l’Afnum. Un sujet que le projet d’arrêté n’aborde pas. De plus, le gouvernement veut que le dispositif s’auto-finance, ce qui inquiète à la fois HOP et les différents groupements de filière. Parmi les autres sources d’inquiétude, les moyens de contrôle, alors que l’indice de réparabilité se base sur du déclaratif, ainsi que les possibles effets de concurrence avec le marché de l’occasion, non concerné par le dispositif et pourtant clé pour faire durer les appareils.
"Si derrière, nous n’avons pas un monde économique capable de réparer les produits et de les remettre sur le marché, ce bonus-malus ne sera pas suffisant pour faire émerger une économie de la réparation", ajoute Vincent Jourdain. Un sujet d’autant plus crucial que le prix des réparations reste un frein majeur. 
De plus, cette mesure pourrait entraîner une hausse des coûts pour les personnes les moins favorisées. Les entrées de gammes sont souvent moins bien notées du point de vue de la réparabilité. Une observation à nuancer toutefois : "des produits peu chers peuvent avoir un bon score de réparabilité et, inversement, le prix élevé de certains produits ne reflète pas leur réparabilité", explique Vincent Jourdain. De plus, "des produit durables peuvent coûter moins cher sur le long terme", appuie HOP. Toutefois, cette mesure soulève la question de son acceptabilité.
Fanny Breuneval

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