"Rétrospectivement, les mesures prises pour poursuivre les activités de l’usine étaient inacceptables". C’est la conclusion de l’enquête interne commandée par le géant suisse de la cimenterie LafargeHolcim. Une enquête lancée pour répondre aux accusations de financement de l’organisation État islamique, révélées par Le Monde en juin dernier.
L’affaire remonte au début des années 2010. En 2007, Lafarge, qui n’a pas encore fusionné avec Holcim, achète une usine à Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Celle-ci est mise en service en 2010, juste avant qu’éclate la guerre civile. Elle reste opérationnelle jusqu’en septembre 2014, date à laquelle le groupe quitte le pays. Et ce, alors que l’Union européenne avait édicté une série d’interdictions, dont celle de ne pas entrer en relation avec "les organisations terroristes présentes en Syrie".
Or, selon des e-mails consultés par le Monde, à partir du printemps 2013, des arrangements ont été conclus entre Lafarge et l’État islamique, qui contrôlait les villes et routes aux alentours de l’usine, pour poursuivre la production.
"Erreurs de jugement significatives"
L’enquête montre que la filiale locale "a remis des fonds à des tierces parties afin de trouver des arrangement avec un certain nombre de groupes armés en vue de maintenir l’activité et d’assurer un passage sûr des employés vers et depuis l’usine", reconnaît aujourd’hui le cimentier dans un communiqué. Sans toutefois pouvoir "établir avec certitude quels étaient les destinataires ultimes".
Le groupe précise aussi que "les responsables des opérations en Syrie semblent avoir agi d’une façon dont ils pensaient qu’elle était dans le meilleur intérêt de l’entreprise et de ses employés". Néanmoins, l’enquête révèle des "erreurs de jugement significatives en contradiction avec le code de conduite en vigueur".
LafargeHolcim fait actuellement l’objet de plaintes de la part de Bercy et d’ONG (Sherpa, ECCHR (European Center for Constitutional and Human Rights). 11 plaignants, ex-salariés syriens de Lafarge, ont saisi la justice avec ces associations. Dans un communiqué, Sherpa déclare aujourd’hui ne pas se satisfaire de la "reconnaissance partielle des faits de l’entreprise".
"L’enquête interne de Lafarge ne devrait pas laisser entendre que la responsabilité des liens avec les groupes armés revenait uniquement à la filiale syrienne du groupe. La maison mère française détenait 98,7 % de cette filiale, et était à l’origine et au courant de toutes les décisions prises sur place", précise-telle avant d’ajouter que la loi sur le devoir de vigilance des multinationales adoptée le 21 février "devrait pouvoir enfin éviter ce type de violation".
Selon Sherpa, cette plainte contre une multinationale sur le fondement de financement de terrorisme, complicité de crimes de guerre et crimes contre l’Humanité constitue "une première".