Eacop, le projet contesté d’oléoduc géant reliant l’Ouganda à la Tanzanie, vient de clôturer la première tranche de son financement externe. “Une étape importante pour Eacop et ses actionnaires : le Français TotalEnergies (62%), Uganda National Oil Company Limited (UNOC – 15%), Tanzania Petroleum Development Corporation (TPDC – 15%) et le Chinois CNOOC (8%)”, annonce la société Eacop Ltd. en charge de la construction et de l’exploitation future du projet d’oléoduc dans un communiqué, publié le 26 mars dernier.
Les financeurs ayant rejoint le tour de table sont des banques régionales à l’instar de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), la Standard Bank sud-africaine, deux banques ougandaises et l’ICD, une banque de développement islamique, précise le communiqué. “C’est une très mauvaise nouvelle pour le climat et pour les populations d’Ouganda et de Tanzanie”, réagit cependant Antoine Bouhey, chargé de campagne à Reclaim Finance, qui pointe un manque de transparence. “Plusieurs questions restent en suspens, comme la liste complète des financeurs ou même les montants des prêts obtenus”, ajoute-t-il.
“Action désespérée”
Le projet Eacop prévoit la construction d’un oléoduc chauffé de plus de 1 440 kilomètres, reliant les gisements de pétrole du lac Albert, dans l’ouest de l’Ouganda, à la côte tanzanienne sur l’océan Indien. Il est associé au projet Tilenga qui prévoit quant à lui le forage de plus de 400 puits dans le parc naturel des Murchison Falls, remarquable réserve de biodiversité et plus grand parc national d’Ouganda. Il suscite dès lors l’opposition des associations environnementales mais aussi des populations locales qui ont dû être déplacées et qui dénoncent une violation de leurs droits.
Objet de contestations et de poursuites judiciaires, le projet dans les cartons depuis une dizaine d’années a subi de nombreux retards et peine à mobiliser suffisamment de financements, de nombreuses banques internationales et notamment européennes ayant refusé de le soutenir en raison de ses impacts environnementaux et sociaux. Pour Samuel Okulony, directeur exécutif de l’Institut de gouvernance environnementale basé en Ouganda, cette première étape dans le financement du projet est une “action désespérée” de la part du développeur d’Eacop pour démontrer les progrès et susciter un intérêt supplémentaire de la part des investisseurs pour le projet.
“Les banques régionales africaines deviennent des prêteurs de dernier recours pour l’industrie pétrolière du continent, comblant un vide laissé par le retrait accéléré des prêteurs occidentaux“, ajoute-t-il dans un commentaire au média Climate home news. Quoiqu’il en soit, le processus est encore loin d’être terminé, deux autres tranches de financement étant attendues. Et le calendrier qui prévoyait une première livraison de brut en 2025 évoque désormais 2027. “Ce projet est une véritable bombe climatique qui ne doit pas voir le jour ; les autres banques doivent absolument refuser de financer le projet Eacop et de soutenir TotalEnergies dans sa stratégie climaticide“, appelle Antoine Bouhey.
L’Ouganda subit déjà les impacts du changement climatique
Selon la société Eacop, le projet était exécuté à 50% fin 2024, et a entraîné la création de 8 000 emplois locaux, 400 000 heures de formation et 500 millions de dollars de retombées économiques localement. De son côté, TotalEnergies met en avant qu’à fin février 2025, 99,6% des accords de compensation ont été signés, 99,5% des accords de compensation ont été payés, 100% des logements (752 au total) ont été construits et transférés à leurs nouveaux propriétaires et 97% des plaintes ont été closes. La major se targue en outre de développer “un projet d’exploitation parmi les moins émetteurs de CO2 de la Compagnie avec 13 kg de CO2 par baril” contre 19 en moyenne.
Des arguments qui peinent à satisfaire les ONG. Sur place, quatre associations africaines contestent devant la justice l’accord entre les gouvernements ougandais et tanzanien sur le projet Eacop. En France, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée mi-février devant le tribunal de Nanterre. Elle fait suite à une première plainte simple, déposée fin septembre 2023 par les mêmes associations, Darwin Climax Coalitions, Sea Shepherd France, Wild Legal et Stop Eacop-Stop Total en Ouganda. Elle assigne la société TotalEnergies “devant le juge pénal pour des faits s’apparentant à un climaticide, et qui, jusqu’ici, n’avaient leur place que devant des juridictions civiles“, précisent les avocats des plaignants.
Ironie du calendrier, l’annonce du bouclage financier d’Eacop est intervenue au lendemain d’inondations qui ont fait au moins sept morts dans la capitale ougandaise Kampala. “Nous exigeons que les banques qui financent le projet reconsidèrent leur position, a poursuivi Samuel Okulony. C’est décevant, surtout au vu des banques qui opèrent en Ouganda (…) dans un contexte où nous sommes déjà confrontés aux conséquences du changement climatique”. L’oléoduc qui devrait acheminer 246 000 barils par jour est considéré comme une bombe climatique, générant 34 millions de tonnes de CO2 par an.