En quelques minutes, la vingtaine de militants présents assemble un bout de pipeline en bois, siglé du nom Eacop, sous les yeux ébahis des agents de sécurité de l’Ambassade de Chine, qui paraissent dépassés par la situation. Alors qu’ils tentent de décrocher les banderoles de la façade, les militants restent stoïques, sous les fumigènes, portant à bout de bras les portraits des populations qui vont être impactées par ce projet d’oléoduc géant qui doit traverser l’Ouganda et la Tanzanie, et qui est notamment porté par TotalEnergies. La scène se passe mercredi 26 juin en fin de matinée, à quelques mètres des Invalides, en plein cœur de la capitale. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas la major qui est visée.
Les associations StopTotal et Extinction Rebellion ont cette fois voulu cibler la représentation chinoise en France pour tenter de dissuader Sinosure, un assureur crédit à l’exportation chinois, de ne pas soutenir le projet. Sous la pression de la société civile, qui multiplie les actions coup de poing, celui-ci a plusieurs fois reporté sa décision d’investissement. Elle devrait être annoncée en juillet. “Alors que 27 banques et 28 assureurs à travers le monde se sont engagés à ne pas soutenir Eacop, la Chine devient le dernier soutien potentiel”, explique Romane Audéoud, membre de StopTotal. “Si Sinosure ne donne pas son feu vert, les banques chinoises pourraient hésiter à y aller et le projet pourrait être gravement compromis”, précise-t-elle.
Des actions dans 13 pays
Les actionnaires d’Eacop, qui ont déjà investi 2 milliards de dollars en fonds propres, cherchent à lever des fonds supplémentaires pour pouvoir poursuivre les travaux. “Nous avons besoin d’environ 3 milliards de dollars pour conclure le financement de ce pipeline de pétrole brut et plus nous tardons, plus le projet deviendra coûteux”, a déclaré la ministre ougandaise de l’énergie, Ruth Nankabirwa, citée dans le média The East African. Selon la présidence ougandaise, le président chinois Xi Jinping a exprimé son engagement à soutenir financièrement la concrétisation du projet Eacop. Contacté par Novethic, TotalEnergies a dit ne pas vouloir commenter le financement de ses projets.
#Solidarity with @stopEACOP activists arrested at the @Chineseembassy today.
Peaceful protest is not a crime , @PoliceUg we call upon for the immediate release of these activists. pic.twitter.com/ZJwhcPd24Q— Students4Climate Justice (@stop4Eacop) June 26, 2024
Le fait est que la pression ne cesse de monter pour tenter de stopper la construction de cet oléoduc qui constituerait une bombe climatique. Des actions similaires à celle organisée devant l’ambassade de Chine à Paris se sont tenues dans 13 pays, en Europe, Amérique et Afrique dans un Global action day. Sur place, signe que la tension est élevée, la répression est également de plus en plus forte. Le défenseur des droits humains et opposant au projet Eacop, Stephen Kwikiriza, a ainsi été enlevé par les forces de défenses ougandaises début juin. Il a été retrouvé quelques jours plus tard mal en point, à environ 250 kilomètres de la capitale Kampala, selon les organisations environnementales ougandaises.
“Le monde a les yeux rivés sur Eacop”
Si de nombreuses banques et assureurs occidentaux, à l’instar de BNP Paribas, Citi, Barclays, Deutsche Bank, Allianz, Axa, ou encore Morgan Stanley se sont engagées à ne pas financer directement le projet Eacop, ce n’est le cas d’aucun acteur chinois. La banque chinoise ICBC fait même partie de l’un des trois principaux conseillers financiers d’Eacop avec Standard Bank, une banque sud-africaine, le plus grand prêteur d’Afrique, qui vient d’annoncer son soutien au projet malgré la pression de la société civile.
Toutefois, même si les banques chinoises soutenaient le projet, elles ne permettraient de lever “qu’1,2 milliard de dollars“, calcule le collectif StopTotal. Il faudrait encore convaincre d’autres acteurs de suivre. Une mission qui apparaît de plus en plus difficile tant le projet est acculé et les risques – de réputation, commerciaux – nombreux. “Le monde a les yeux rivés sur ceux qui soutiendront ce projet“, lance Romane Audéoud. “Nous n’avons pas d’autre choix que de nous faire les relais des populations qui souffrent“, ajoute-t-elle en glissant une liasse de pétitions, signées par les communautés affectées par Eacop, sous le portail de l’ambassade de Chine.