Une course contre la montre est engagée pour venir en aide aux habitants de Mayotte, 101e département français de l’océan Indien, frappé par le cyclone Chido samedi 14 décembre. Les autorités redoutent un bilan de “plusieurs centaines” de morts voire “quelques milliers”. “La situation est un désastre“, se désole Yves Michel Daunar, directeur d’un organisme public d’aménagement du territoire auprès de l’AFP. Outre les bidonvilles entièrement détruits, “la moitié des maisons en bon état est par terre“, jauge-t-il : “J’ai vu des personnes qui ont le regard dans le vide […]. On est sur une autre planète”. Les secouristes s’attendent à découvrir de nombreuses victimes dans les déclins des bidonvilles très peuplés, notamment dans les hauteurs de Mamoudzou, la capitale mahoraise, a déclaré le maire de la ville, Ambdilwahedou Soumaila. “Tout a été emporté, tout a été rasé“, s’est désolée auprès de l’AFP Mounira, une habitante du plus grand bidonville français, dont la maison a été détruite.
Les bidonvilles de #Mayotte ont été rasés, leurs habitants engloutis par la boue et les tôles. Les 3/4 des maisons en dur n’ont #PlusDeToit. Pas d’#eau, pas de #nourriture, pas d’#électricité et des #pillages. Nos besoins: #ÉtatDUrgence + #Armée + #Médecins + #Aide massive pic.twitter.com/vDtHWgSvCG
— Estelle Youssouffa Députée (@DeputeeEstelle) December 15, 2024
Chido est le cyclone le plus destructeur à Mayotte depuis 90 ans. Outre le bilan humain, il laisse derrière lui d’innombrables dégâts : beaucoup de routes sont impraticables, les télécommunications en partie coupées et l’eau, déjà régulièrement coupées au robinet, manque, de même que la nourriture, des habitants évoquant un climat d’insécurité et des scènes de pillages. “Maintenant, il faut gérer les urgences. Rétablir l’eau et l’électricité”, alerte auprès de l’AFP le maire d’Ouangani, Youssouf Ambdi. “Si on n’agit pas vite, c’est un drame sanitaire qui va se jouer”, témoigne-t-il alors que faute d’eau potable, “les gens vont chercher de l’eau à la rivière, on est revenus 40 ans en arrière”. Le seul hôpital de l’île est “très endommagé” et plusieurs centres médicaux “inopérants“, selon la ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq.
“Bidonvilles couchés”
Les cyclones se développaient habituellement dans l’océan Indien de novembre à mars, mais cette année, les eaux de surface étaient proches de 30°C dans la zone, ce qui fournit plus d’énergie aux tempêtes, un phénomène de réchauffement climatique observé également cet automne dans l’Atlantique Nord et dans le Pacifique. Mais selon une première étude d’attribution publiée lundi 16 décembre, le lien avec le changement climatique est très difficile à établir, en raison du faible nombre de données pour des événements similaires dans la région. Chido est surtout “exceptionnel” car l’œil du cyclone a frappé directement le petit archipel, explique à l’AFP François Gourand, prévisionniste à Météo-France. “Tous les bidonvilles sont couchés, ce qui laisse augurer un nombre considérable de victimes”, a indiqué auprès de l’AFP une source proche des autorités.
Mayotte compte probablement 320 000 habitants “mais on estime qu’il y a 100 000 à 200 000 personnes de plus, compte tenu de l’immigration illégale“, a ajouté cette source, et peu d’habitants en situation irrégulière – originaires notamment de l’archipel voisin des Comores – ont rejoint les abris prévus “sans doute de peur d’être contrôlés“. Ils ont pensé “que ce serait un piège qu’on leur tendait (…) pour les ramasser et les conduire hors des frontières”, selon un ex-infirmier, Ousseni Balahachi.
“C’est un carnage. Le tribunal, la préfecture, beaucoup de services, de commerces, des écoles sont à terre“, a décrit à l’AFP Ousseni Balahachi, un infirmier à la retraite, depuis Mamoudzou, le centre administrative de Mayotte. Cases anéanties, toits en tôle envolés, poteaux électriques à terre, arbres arrachés… Les habitants, confinés pendant le passage du cyclone, ont découvert dimanche, sidérés, un paysage d’apocalypse. La tour de contrôle de l’aéroport de Mayotte-Dzaoudzi a également subi de gros dégâts, et la reprise des vols commerciaux n’est pas envisagée avant “au mieux dix jours”, a indiqué lundi à l’AFP une source préfectorale.
“Injustice écologique et sociale”
Un pont aérien et maritime est organisé depuis dimanche depuis un autre territoire français situé dans l’océan Indien, l’île de La Réunion, à 1 400 kilomètres de Mayotte à vol d’oiseau. Un total de 800 personnels de la sécurité civile sont envoyés en renfort, avec l’hôpital de campagne et du matériel de transmission par satellite. Selon la Croix-Rouge française, 20 tonnes de matériel sont en train d’être acheminées depuis La Réunion. Le dispositif de soutien s’appuie en outre sur trois avions et deux navires militaires, selon l’état-major des armées. “Les pillages, c’est ce que tout le monde craint, surtout les gens dont les maisons sont éventrées”, a confié à l’AFP Tanya Sam Ming, habitante de la périphérie de Mamoudzou. “Certains de mes voisins ont déjà faim et soif”, a également observé Lucas Duchaufour, un kinésithérapeute de Labattoir, où les arbres fruitiers, comme les manguiers, ont été déracinés.
Pour Greenpeace France, cette catastrophe met clairement en lumière “l’injustice écologique et sociale du changement climatique : ce sont les populations les plus vulnérables qui paient le prix fort de l’inaction climatique, alors qu’elles sont parmi celles qui contribuent le moins à cette crise”. “Mayotte est déjà confrontée à de profondes inégalités sociales et souffre d’un cruel manque d’investissements de l’État dans ses services publics, ce qui démultiplie les conséquences dramatiques d’un cyclone comme Chido. L’État a une double responsabilité dans cette tragédie : celle d’avoir abandonné Mayotte à une grande pauvreté depuis des décennies, et celle de son inaction climatique irresponsable”, a réagit Sarah Cleaver, chargée de campagne Climat à Greenpeace France. Selon l’Insee, plus des 3/4 de la population à Mayotte vit sous le seuil de pauvreté, et 42% avec mois de 160 euros par mois. Le département, en proie à de réguliers épisodes de sécheresse, est déjà confronté à des coupures d’eau habituellement. [Mise à jour le 16 décembre à 17:36]