C’est une nouvelle menace qui pèse sur notre eau potable. En 2022, plus de 10 millions de Français ont bu une eau de qualité non conforme au moins une fois dans l’année. En cause : la présence de métabolites, issus de la dégradation de pesticides dans l’environnement, pouvant contaminer les eaux souterraines et in fine, l’eau du robinet. A l’origine d’une pollution irréversible et potentiellement dangereuse pour la santé, une grande partie d’entre eux “ne font l’objet d’aucune surveillance dans les eaux par les autorités sanitaires”, alerte l’association Générations futures.
A ce jour, sur les 300 pesticides autorisés en France, seuls 33 métabolites bénéficient de véritables mesures de suivi estime l’association, la surveillance des substances variant en outre selon les régions, leurs budgets et les spécificités agricoles de chaque zone. Il ne s’agirait pourtant que de la partie émergée de l’iceberg. D’après une étude publiée le 15 octobre dernier, une cinquantaine de métabolites dont le risque de polluer les eaux est établi, ne sont pas recherchés. Parmi eux, on retrouve notamment l’acide trifluoroacétique (TFA), un métabolite issu du flufénacet.
Un métabolite largement présent
Cet herbicide très largement utilisé dans l’Hexagone pour le traitement des cultures céréalières malgré son appartenance à la famille des PFAS, ou “polluants éternels”, a vu ses ventes décoller pour atteindre plus de 900 tonnes en 2022, soit quasiment le double des volumes enregistrés en 2019. Résultat, il a été retrouvé à des taux importants dans l’eau du robinet par Générations futures et le réseau Pesticide Action Network (PAN) en France et en Europe. Dans l’Hexagone, trois échantillons sur quatre dépassent les niveaux de conformité, affirment les deux organisations.
Si les effets sur la santé du TFA sont encore peu documentés, il est d’ores et déjà considéré comme “toxique pour la reproduction probable” en Allemagne. Le flufénacet a par ailleurs été classé le 27 septembre dernier comme perturbateur endocrinien par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Ses métabolites devront donc être considérés comme “pertinents” pour l’eau potable, c’est-à-dire à risque et soumis à des seuils réglementaires d’après la méthodologie de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Selon les informations du Monde, cela pourrait conduire à une non-conformité de l’eau distribuée à plus de la moitié des Français.
Le flufénacet sur la sellette
“Les risques de non-conformité de l’eau dans le futur sont très importants, confirme dans un communiqué Pauline Cervan, toxicologue au sein de Générations futures. Cette menace devrait conduire les autorités à restreindre l’usage des substances émettrices de TFA.” Malgré l’expiration de son autorisation au niveau européen fin 2013, le flufénacet a en effet bénéficié de multiples procédures de prolongement, la dernière allant jusqu’à 2025. “Suite à l’avis de l’EFSA de septembre dernier, le processus législatif pour ne pas réapprouver le flufenacet a débuté”, répond Stefan De Keersmaecker, porte-parole chargé des questions de santé au sein de la Commission européenne, interrogé par le Monde.
Plusieurs organisations environnementales, dont l’ONG PAN, ont demandé l’interdiction “le plus rapidement possible” de cet herbicide au niveau européen. Générations futures a de son côté appelé au retrait immédiat des 80 produits actuellement mis sur le marché français dont la composition comprend du flufénacet. Plus largement, un rapport interministériel confidentiel diffusé le 14 novembre dernier par le média Contexte, pointe “l’échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides” et préconise un ensemble de mesures d’urgences. Parmi elles, les inspections générales conseillent notamment la mise en œuvre de “mesures de restriction, voire d’interdiction d’usages de produits phytopharmaceutiques” sur les “aires de captages en dépassement ou proches des limites de qualité pour les pesticides et leurs métabolites.”