Publié le 19 décembre 2024

Constatant les échecs et le manque d’ambition des trois COP successives qui ont marqué cette fin d’année, sur la biodiversité, le climat et la désertification, Pierre-Yves Burlot et Fabrice Bonnifet, présidents respectifs d’Orée et du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) avec le Groupe de travail Politiques Biodiversité des Entreprises appellent les entreprises à s’emparer de ces sujets et à montrer la voie.

L’actualité d’une COP chasse l’autre. Les COP biodiversité à Cali, climat à Bakou ou désertification à Ryad auront plus donné le tournis qu’elles n’auront permis un alignement des planètes économiques, sociales et environnementales. Pourtant la lenteur des négociations met en péril le respect des engagements internationaux, et réduit les chances de maintien des conditions d’habitabilité de la planète telles que nous les connaissons. Alors que les modèles de production et de consommation sont à risque et à réinterroger en profondeur, les entreprises s’emparent-elles enfin de ces sujets, imbriqués mais cruciaux pour leur propre pérennité ?

Un rapport du World Economic Forum (WEF) de 2020 estime que plus de 50% du PIB mondial dépend très fortement de la bonne santé des écosystèmes. Si l’habitabilité de la Terre et la stabilité de nos sociétés semblent être des concepts abstraits, les entreprises ont tout intérêt à participer activement à la préservation des chaînes de valeur. Il en va de la pérennité de leurs activités.

Cécité

La biodiversité est encore un “jeune” sujet dans la stratégie des entreprises, et ne parlons même pas de celui de la désertification, pourtant indicateur central de la capacité des sols à nous permettre de vivre. Comment expliquer une telle cécité ? L’une des difficultés serait que sans indicateur comparable à la tonne équivalent carbone pour les sujets liés au vivant, et donc un indicateur universel et partagé, il est complexe d’établir des tableaux de bord. Or les entreprises ont un besoin croissant de pilotage et de comparabilité. Des outils existent évidemment, mais ils produisent des données hétérogènes, par définition difficiles à agréger.

Analyser les opportunités liées au maintien d’un bon état des écosystèmes

Plusieurs raisons plaident pourtant pour une action immédiate de la part des entreprises : les enjeux liés à la biodiversité et à la qualité des sols sont concrets. Par ailleurs, les effets des politiques de protection et de régénération de la nature sont visibles rapidement au plan local. Il est néanmoins souhaitable de commencer par tenter de comprendre nos impacts en les analysant par le prisme des dépendances et des risques associés, mais aussi des opportunités liées au maintien d’un bon état des écosystèmes. En comprenant où sont les angles morts et en identifiant les enjeux matériels, on peut qualifier les dangers, et donc les anticiper. Cette capacité à prévoir rend alors les entreprises, et plus largement les systèmes économiques, plus robustes.

Un cadre commun, notamment entre entreprises et investisseurs, peut aussi aider à structurer leurs actions et encourager à intégrer l’environnement comme une opportunité stratégique. En Europe, l’adoption de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) a imposé une obligation de transparence accrue, mais elle a surtout proposé des méthodes pour appréhender la matérialité du rapport des entreprises à la biodiversité et élaborer des plans de transition. Il serait vraiment dommage que cette dynamique soit durablement enrayée par des considérations de court terme, même si la maturité de l’ensemble des entreprises sur ce sujet sera forcément progressive.

Agonie programmée

Ne sous-estimons toutefois pas la capacité de mobilisation des entreprises : elles sont bien équipées pour se lancer dans des politiques de protection de la biodiversité ambitieuses. Elles peuvent faire des pilotes, travailler avec des ONG, fines connaisseuses des problèmes terrain. Et elles peuvent enfin contribuer financièrement : c’est tout le sujet qui devait être adressé à Cali mais qui ne le sera finalement qu’à Rome, pour la suite de la COP16 Biodiversité et les discussions autour de l’adoption d’une stratégie de mobilisation des financements.

Les deux changements les plus importants à mettre en place se situent au niveau des modèles économiques et de la stratégie  des entreprises : d’une part, en prenant la mesure de la valeur du capital naturel, on peut envisager de mettre la biodiversité au cœur des stratégies, pas seulement de la RSE, mais du business, à travers le prisme d’une comptabilité multi-capitaux. D’autre part, affronter la transformation des modèles de production et d’usage oblige à opérer des renoncements concernant des points qui constituent des faiblesses potentielles. Ces changements permettent souvent d’aborder en même temps les sujets carbone et biodiversité ! Enfin, le lieu au sein duquel les entreprises incarneront la prise en compte de la biodiversité est celui des organes de décision : c’est aussi de la gouvernance, que découlera un véritable changement de paradigme.

L’adoption de modèles d’affaires régénératifs est leur seule assurance-vie

Le “business as usual” pour les entreprises est l’assurance d’une agonie programmée, du fait de leur dépendance aux services écosystémiques et au vivant, l’adoption de modèles d’affaires régénératifs est leur seule assurance-vie. Les stratégies doivent s’harmoniser : une stratégie carbone n’est pertinente et efficace que si elle prend aussi en compte l’enjeu de la biodiversité et des sols. Gageons que voyant l’engagement des entreprises et des organismes financiers, les États suivront avec des accords dignes de ce nom, et que COP climat, biodiversité et désertification convergeront, enfin, dans leurs objectifs pour permettre aux Etats de fournir  un cadre d’action clair aux acteurs économiques.

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