Nous sommes fin novembre 2024. Des centaines de petits cylindres verts sont découverts sur les rives bretonnes. Alertées, les associations environnementales entament des opérations de ramassage sur plusieurs plages. Avec le soutien du syndicat de protection du littoral breton Vigipol, elles récoltent plus de 5 000 fragments répartis sur treize communes de l’Ille-et-Vilaine et du Finistère. Un événement loin d’être isolé… et qui n’est pas sans conséquence sur l’environnement.
Ces étoiles en plastiques sont en effet des “Green powerchips”, utilisées dans des biodigesteurs pour transformer les déchets organiques sur certains navires. Un dispositif faisant partie de la famille des biomédias, aussi appelés médias filtrants. De un à cinq centimètres, ils sont généralement employés pour fixer les bactéries lors du traitement d’eaux usées. Les stations d’épuration y ont recours, mais pas seulement. Les exploitations agricoles, l’industrie papetière ou encore les entreprises d’extraction d’hydrocarbures en font également usage.
Une pollution diffuse
Problème, les biomédias sont une source de pollution non négligeable. On les retrouve fréquemment sur les plages suite à des dysfonctionnements dans les infrastructures de traitement des eaux. Mais aussi lors d’événements naturels : les fortes précipitations peuvent par exemple entraîner le débordement des bassins, qui contiennent jusqu’à plusieurs centaines de millions de ces pièces. De petite taille et mobiles, les biomédias se dispersent alors rapidement dans les cours d’eau avant d’atteindre les océans.
Dans un rapport publié en décembre 2023, la fondation Surfrider Europe (SFE) rapporte un cas de pollution massive observée en 2018 en Italie. Près de 130 millions de biomédias avait été accidentellement relâchés dans une rivière située au sud du pays. Résultat, “la pollution s’est répandue dans toute la Méditerranée occidentale, touchant les littoraux de France, d’Espagne, de Tunisie et de Malte et impactant par la même occasion de nombreuses aires marines protégées”, notent les auteurs. Un phénomène qui peut ensuite s’étaler sur plusieurs dizaines d’années.
“Le paradoxe est que cet outil de dépollution finit par polluer”, souligne Cristina Barreau, juriste et coordinatrice du projet déchets marins pour la Surfrider Europe, interrogée par La Croix. Plusieurs risques y sont en effet associés, notamment environnementaux. Composés en partie de polyéthylène, une matière plastique, ces cylindres sont particulièrement persistants dans les milieux naturels. Ils peuvent également être ingérés par des animaux, comme les tortues et les oiseaux marins. Enfin, du fait de leur usage initial, ils sont porteurs de bactéries, mais aussi de pesticides ou d‘hydrocarbures, qui peuvent par exemple contaminer des exploitations conchylicoles.
900 cas de dispersion en France
Portugal, Suisse, Espagne, Italie, Allemagne, Danemark… Les rejets de biomédias en milieu aquatique concernent de nombreux pays européens alors que le continent compte 250 stations et infrastructures faisant appel à ce dispositif. Rien qu’en France, SFE pointe plus de 900 cas de dispersion en milieu naturel entre 2004 et 2025. Parmi les régions les plus touchées, la Corse subit des échouages récurrents depuis plusieurs années. Selon les estimations d’une station d’épuration située à Bastia, dans le nord de l’île, près de 20 mètres cubes de ces disques de plastique auraient été accidentellement déversés dans la Méditerranée depuis 2014.
“La plupart des biomédias que l’on ramasse en Corse sont ceux qu’utilise Veolia et sa filiale water technologie, affirme au média local Corse Net Infos Laurence Constantin, la présidente de l’ONG Global Earth Keeper. Nous avons déjà sollicité la mise en place de solutions comme la création de bassins tampons et la mise en place de capteurs en cas d’anomalie, mais à ce jour, il n’existe pas de veille quant au déversement de ces filtres en polyéthylène qui, malgré leur nom, ne sont pas biodégradables”.
Et la situation ne devrait pas aller en s’améliorant sous l’effet du changement climatique. “L’augmentation de la fréquence, de l’intensité et de l’impact des phénomènes météorologiques extrêmes va probablement accroître considérablement les risques d’accidents et, par conséquent, de pollution”, s’inquiète Surfrider. Pour y faire face, l’association plaide pour l’instauration de mesures réglementaires afin d’autoriser le contrôle des stations d’épuration par les autorités. Elle appelle également à l’application du principe de pollueur-payeur lors de défaillances.