Publié le 28 septembre 2024

L’agent orange, défoliant ultra-toxique utilisé par les Etats-Unis pendant la guerre du Vietnam, a récemment servi à déforester des zones du Pantanal au Brésil, l’une des plus grandes zones humides au monde. Selon une enquête de Mighty Earth, le géant brésilien de l’agroalimentaire JBS, fournisseur de viandes, et le distributeur Carrefour seraient indirectement liés à ces fermes.

Une guerre contre la nature. Un nouveau rapport de l’ONG Mighty Earth révèle qu’une zone de 81 200 hectares dans le Pantanal a été déforestée entre 2021 et 2023 avec l’agent orange, défoliant ultra-toxique utilisé par les Etats-Unis pendant la guerre du Vietnam. Cette surface représente près de huit fois la ville de Paris. L’épandage a été réalisé à partir d’avions pour éradiquer les arbres et la végétation de la plus grande zone humide du monde et l’adapter à l’élevage de bœufs.

Une zone du Pantanal détruite par l’agent orange. @Civil Police and Sema-MT

“La destruction délibérée d’innombrables arbres et espèces sauvages dans le Pantanal par pulvérisation aérienne d’un composant hautement toxique de l’agent orange est une nouvelle guerre dévastatrice contre la nature menée par l’industrie de la viande bovine”, a réagi João Gonçalves, directeur de Mighty Earth Brésil. Les procureurs brésiliens, qui mènent l’enquête depuis 2022, ont ainsi qualifié cet acte illégal de “déforestation chimique”, car si l’agent orange est autorisé au Brésil, il ne l’est pas dans ces proportions.

Mieux contrôler les fermes indirectes

“Il y avait déjà eu des cas isolés de déforestation par l’agent orange mais c’est la première fois à ce niveau-là”, confirme auprès de Novethic Mariana Bombo Perozzi Gameiro, coordinatrice du programme Rapid Response qui permet de suivre en quasi temps réel la déforestation au Brésil, et consultante pour Mighty Earth. L’enquête montre notamment que l’une des fermes concernées par cette déforestation chimique est au centre d’une chaîne d’approvisionnement en viande bovine reliant les 3 grands fournisseurs de viande que sont JBS, Marfrig et Minerva et 4 grandes chaînes de supermarchés au Brésil dont Carrefour.

“On ne peut pas prouver la transaction commerciale car la temporalité n’est pas linéaire entre la déforestation, le moment où le bétail est vendu et abattu et celui où la viande est vendue, poursuit Mariana Bombo Perozzi Gameiro, mais on montre la relation commerciale qui a existé à un moment donné. Les supermarchés ne contrôlent que la dernière ferme qui livre directement l’abattoir. C’est insuffisant car ce sont les fermes indirectes qui sont les plus gros moteurs de déforestation.”

“Contourner les systèmes de monitoring”

Contacté par Novethic, Carrefour assure “qu’aucune des fermes mentionnées dans le rapport n’approvisionne ses magasins”. Régulièrement pointé du doigt pour ses approvisionnements issus de la déforestation, Carrefour a lancé une Plateforme de transparence qui vise à collecter tous les signalements sur des risques de non-conformité. Le distributeur français a déjà déréférencé 177 fermes au Brésil. Mais l’ONG appelle l’entreprise à aller plus loin et à sortir de la liste de ces fournisseurs tous ceux qui sont liés directement ou indirectement à la déforestation.

Le Brésil est en proie depuis plusieurs semaines à des feux records en Amazonie et dans le Pantanal. Début septembre, 59 641 foyers d’incendies y ont été recensés. Des feux, aggravés par la sécheresse provoquée par le changement climatique, mais qui sont majoritairement d’origine criminelle. Or, si la déforestation par incendie est immédiatement détectable par les systèmes de surveillance, elle est moins évidente avec les produits chimiques. “La dégradation est plus lente, c’est aussi une façon de contourner les systèmes de monitoring”, pointe Mariana Bombo Perozzi Gameiro.

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