Publié le 7 juin 2024

Les pratiques fiscales des entreprises sont en train de s’imposer comme un axe majeur de leur responsabilité sociale. Face au manque de transparence et à l’évasion fiscale qui persistent, de plus en plus d’acteurs militent pour durcir le cadre réglementaire.

Près de 1 000 milliards de dollars sont transférés chaque année par les multinationales dans des paradis fiscaux. C’est l’un des chiffres à retenir du dernier rapport de l’Observatoire Européen de la Fiscalité paru le jeudi 6 juin. Souvent grâce à l’exploitation de failles dans des dispositifs légaux, les grandes entreprises parviennent ainsi à échapper au paiement de l’impôt. Surtout, elles sont encore loin du compte en matière de transparence fiscale : seules 2% des multinationales réalisent aujourd’hui un rapport de leurs résultats financiers pays par pays, qui rend public la répartition de leurs bénéfices et de leurs contributions fiscales dans les différents pays où elles opèrent.

Face à cette réalité, l’Observatoire Européen de la Fiscalité recommande de renforcer les exigences de transparence fiscale pour les multinationales. “Le sujet de la transparence fiscale monte en puissance depuis plusieurs années”, commente Quentin Arnaud, maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole, et spécialiste des liens entre fiscalité et RSE. “Depuis la fin des années 2010, le standard 207 de la Global Reporting Initiative demande aux entreprises de divulguer un certain nombre d’informations sur leurs pratiques fiscales et en France la DPEF (Déclaration de performance extra financière, ndlr) également”, avance-t-il. Un tabou serait même en train de tomber concernant la justice fiscale. C’est en tout cas ce que croit Quentin Parrinello, porte-parole de l’Observatoire. “La fiscalité des grandes entreprises est redevenue un sujet politique. Ces dernières réalisent que c’est un enjeu social et sociétal pour elles, que cela fait partie de leur politique RSE. Il y a 10 ou 15 ans, c’était impensable” analyse-t-il.

“Tout cela reste très opaque”

Malgré cette prise de conscience, les entreprises qui communiquent sur le sujet fiscal ne poussent pas bien loin la transparence fiscale, et se contentent souvent d’affirmer qu’elles respectent le cadre légal. “Les informations divulguées par les entreprises sont encore très narratives, et donc au fond, tout cela reste très opaque”, analyse Quentin Arnaud. Il faut dire que l’enjeu de la transparence et de la responsabilité fiscale reste essentiellement fondé sur de la “soft law”, du droit non contraignant ou peu prescriptif, qui laisse beaucoup de marges de manœuvre aux acteurs privés. Certains, notamment du côté des ONG, poussent donc pour renforcer le cadre normatif.

Signe des temps, l’IESBA (International Ethics Standards Board For Accountants) qui produit des standards professionnels pour le secteur de l’audit et du consulting, a ainsi publié en avril de nouveaux standards éthiques pour le conseil fiscal aux entreprises, avec en ligne de mire les pratiques d’optimisation agressives. Une manière, selon Pascal Saint-Amans, ancien directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, de “restaurer la confiance du public” face aux pratiques d’évasion fiscale des grandes entreprises, de plus en plus décriées.

Vers un encadrement plus contraignant de la fiscalité des multinationales 

Pour limiter les abus en matière d’évasion fiscale, la communauté internationale est allée plus loin : 140 pays se sont ainsi mis d’accord pour créer à partir de 2024 un impôt minimal mondial sur les multinationales de 15%, qui devrait permettre de juguler un peu les pertes fiscales. Mais déjà, les ONG pointent du doigt les failles du système, les niches fiscales et les exemptions, et appellent à des mesures plus ambitieuses

De son côté, l’Union Européenne veut continuer à agir pour renforcer la transparence fiscale : les institutions se sont ainsi dotées d’une “directive sur le reporting pays par pays” qui devrait obliger les entreprises ayant des activités en Europe à renforcer considérablement la précision de leur reporting fiscal à partir de 2026. “Un premier pas important vers la transparence” et “un outil indispensable dans la lutte contre l’évasion fiscale des multinationales”, selon Gabriel Zucman, économiste et président de l’Observatoire Européen de la Fiscalité.

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