Publié le 5 mars 2025

C’est un coup dur pour les défenseurs du Nutri-score. Selon une enquête de Radio France, la Commission européenne aurait renoncé à la mise en place du dispositif d’affichage nutritionnel dans l’ensemble des pays membres suite à la pression de l’agro-industrie et de certains Etats, Italie en tête. Un mauvais signal alors que le déploiement de la nouvelle version de l’indicateur en France se fait encore attendre.

Le Nutri-score européen pourrait ne jamais voir le jour. Le système de notation nutritionnelle, aujourd’hui largement adopté par les Français, aurait dû être généralisé dans l’ensemble des pays de l’Union il y a déjà plusieurs mois. La Commission européenne avait en effet prévu de déployer fin 2022 l’affichage d’un logo, unique et obligatoire, sur les produits alimentaires des 27 Etats dans le cadre de sa stratégie “Farm to fork”. L’objectif : fournir une information précise aux consommateurs sur la qualité nutritionnelle de leur alimentation, afin qu’ils puissent faire des choix éclairés.

Déjà appliqué dans plusieurs pays, dont la France, et bénéficiant de l’appui de près de 150 études, le Nutri-score apparaît comme l’indicateur favori. Approuvé en 2021 par les députés européens, le projet n’a pourtant pas avancé d’un pouce depuis cette date et pourrait même être abandonné selon les révélations d’une enquête menée par la cellule investigation de Radio France. En mars 2023, un document émanant des services de la Commission auquel l’ONG Foodwatch a pu avoir accès, affirme ainsi que “la proposition de l’UE ne copie/collera aucun système existant”.

Campagne de lobbying

L’Union européenne joue pourtant un rôle clé dans le déploiement du logo. Si l’affichage du Nutri-score est aujourd’hui basé, en France et dans les six autres pays l’ayant mis en place, sur le volontariat des entreprises, c’est parce qu’une réglementation européenne datée de 2011 empêche les Etats de le rendre obligatoire. Mais toute avancée de la réglementation se heurte à la forte influence de l’industrie agroalimentaire qui y est en grande partie farouchement opposée. “Une campagne de lobbying très intense s’est mise en place contre le Nutri-score”, explique à Radio France Emma Calvert, la porte-parole du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC).

Dans une tribune au Monde publiée en octobre 2024, un collectif de chercheurs souligne l’influence exercée sur l’institution par de grands groupes alimentaires. Selon les signataires, certains industriels comme “Ferrero, Coca-Cola, Mars, Lactalis, Mondelez, Kraft, Unilever” ou encore “les producteurs de charcuteries et de fromages” combattraient activement le projet. Les hauts fonctionnaires de la Commission auraient ainsi eu “17 réunions avec des opposants au Nutri-score ou des intérêts commerciaux” contre “seulement deux avec la société civile”, note Emma Calvert.

L’Italie en tête des pays réfractaires

Les obstacles à l’adoption de l’indicateur sont également d’ordre politique. En tête des pays les plus opposés au dispositif, l’Italie et sa puissante industrie agroalimentaire ont mené une véritable campagne de discréditation du Nutri-score, opposant l’affichage nutritionnel à la protection des produits traditionnels italiens. Auprès de médias locaux, Giorgia Meloni, la première ministre du pays, a notamment qualifié l’indicateur de “discriminatoire”, tandis que le ministre de l’Agriculture Francesco Lollobrigida a estimé son instauration “dangereu[se] du point de vue du conditionnement du consommateur”.

Entourée de plusieurs pays hostiles comme la Roumanie, la Grèce ou encore la Hongrie, l’Italie aurait fait lourdement pression sur la Commission, ainsi que sur ses directions à l’agriculture et à la santé, rapporte Foodwatch. Selon une série de documents obtenus par l’ONG, surnommés les Nutri-score papers, plusieurs rencontres auraient été organisées à ce sujet en 2022, entre Giorgia Meloni et Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission. Résultat, suite au recul de l’UE, Michele Picaro, député européen et membre de Fratelli d’Italia, évoque auprès de Radio France “une victoire importante”.

“C’est inadmissible”

Du côté des défenseurs de l’indicateur arc-en-ciel, le constat est amer. “C’est lamentable et choquant de voir que les pressions des lobbys arrivent à faire céder la Commission européenne”, a regretté sur France Info Serge Hercberg. Le nutritionniste, dont les recherches sont à l’origine du Nutri-score, mentionne de “faux arguments” conduisant à “une perte de chance pour les consommateurs”. “C’est inadmissible qu’un projet de législation de cette ampleur soit mis au placard sans qu’il y ait de la part de la Commission aucun compte qui ne soit rendu, à part une justification très bancale sous la pression médiatique”, abonde auprès de Novethic Audrey Morice, chargée de campagnes pour Foodwatch. Mais l’association ne s’avoue pas vaincue pour autant. “Nous cherchons des voies de recours pour mettre la Commission face à ses responsabilités”, ajoute Audrey Morice.

Et la situation dans l’Hexagone, où 60% des produits commercialisés affichent le Nutri-score, n’est pas non plus au beau fixe. Plusieurs entreprises ont d’ores et déjà annoncé leur désengagement du dispositif. “Tous ceux qui sont contre le Nutri-score en France prétextent ce blocage au niveau européen pour ne plus avancer”, expliquait à Novethic David Garbous, président du collectif En Vérité, fin janvier. C’est notamment le cas de Danone, qui après avoir retiré l’indicateur de ses yaourts à boire, pourrait aller un cran plus loin en le supprimant de l’ensemble de ses marques. Le nouvel algorithme du Nutri-score, annoncé début 2024, n’a par ailleurs toujours pas été déployé dans nos rayons. Plus sévère, cette version ne fait pas l’unanimité au sein des entreprises agroalimentaires qui feraient pression sur le gouvernement pour retarder son application.

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