Publié le 19 février 2024

Ce sont les plus grands passages maritimes au monde. Le canal de Panama, impacté par la sécheresse, et celui de Suez, bloqué par les rebelles Houthis, bloquent le trafic maritime mondial avec de lourdes conséquences environnementales. Les navires, obligés de les contourner, accélèrent leur vitesse pour compenser les retards et font ainsi exploser leurs émissions de CO2.

Le Canal de Panama peut-il survivre à la crise climatique ? C’est la question que se posait il y a un mois le média Foreign Policy. Et la question est plus que légitime. Le canal, une des voies commerciales maritimes les plus empruntées au monde, subit une sécheresse telle que l’Autorité du canal de Panama (ACP) a dû réduire son trafic de 40%. Le trafic est désormais de 24 navires par jour contre 36 avant la sécheresse. Si les pluies de novembre sont venues atténuer les restrictions qui prévoyaient 18 navires par jour, la crise climatique aggravée par le phénomène El Niño n’est pas prête, elle, de s’atténuer.

Le canal de Panama, contrairement au canal de Suez, est en effet alimenté par de l’eau douce. C’est par un système complexe d’écluses que les navires se hissent à la hauteur du lac Gatun et du deuxième lac artificiel, l’Alajuela, qui sert de réservoir. Mais les deux manquent d’eau. La sécheresse a ainsi provoqué de longues files d’attente de navires bloqués devant ce goulet d’étranglement. Jusqu’ici, 6% du trafic maritime mondial transitait par le canal de Panama. Face à cette situation, les navires ont essayé de contourner le canal, quitte à prolonger leur itinéraire.

Ironie de la situation : en tentant de contourner le canal de Panama, les navires ont rallongé leur itinéraire et émis davantage de CO2 et donc accentué la crise climatique qui, elle-même, réduit le trafic du canal de Panama ! Le serpent se mord la queue. D’autant plus quand un deuxième check point est inaccessible : le canal de Suez.

Des trajets plus longs pour contourner les risques

Le canal de Suez qui a fait transiter 12 à 15 % du commerce mondial en 2023, a vu son trafic diminuer de 42 % au cours des deux derniers mois. Pour les porte-conteneurs, la baisse est encore plus importante avec 67% de trafic en moins. En cause : les attaques des rebelles houthis qui soutiennent le Hamas face à Israël. Plusieurs grands transporteurs comme le français CMA-CGM ou encore le géant MSC ont décidé de détourner leurs navires après plusieurs attaques. “Compte tenu de la situation sécuritaire en mer Rouge et pour assurer la sécurité de notre équipage, les navires MSC ne transiteront pas par le canal de Suez en direction est et ouest jusqu’à ce que le passage en mer Rouge soit à nouveau sûr”, écrit MSC dans un communiqué.

Les conséquences sont bien sûr nombreuses pour le secteur. “Il faut contourner le risque, c’est évident, pour éviter que les marins soient tués ou que les bateaux soient coulés ou endommagés”, explique à Novethic Jean-Michel Garcia, de l’association des utilisateurs de transport de fret (AUTF). “Il y a des conséquences fortes sur les tarifs”, pointe-t-il, mais aussi sur le climat. “A chaque contournement, cela a un impact sur le dégagement de CO2 puisqu’on fait plus de trajet”.

Réduire la vitesse pour réduire les émissions de CO2

L’ONG Transport & Environnement a justement calculé cette augmentation de tonnes de CO2 impliquée par le détournement des bateaux. “Prenons par exemple un porte-conteneur comme le Al Zubara entre Singapour et Le Havre. Nous estimons que si ce navire passait par le Canal du Suez, il émettrait presque 6000 tonnes de CO2 (5949 tonnes pour être précis)”, analyse pour Novethic Constance Dijkstra, spécialiste du secteur maritime pour l’ONG, “En passant par l’Afrique du Sud, ce navire augmente ses émissions de CO2 de 45% en émettant plus de 8600 tonnes de CO2 (8648 tonnes exactement)”.

“La question est également de savoir si on augmente la vitesse des bateaux”, ajoute Jean-Michel Garcia. Plusieurs compagnies maritimes, pour compenser le retard pris ont décidé d’accélérer la vitesse de leurs navires. Une hérésie pour les associations environnementales qui préconisent justement de lever le pied. “En général on estime que si un navire ralentit sa vitesse de 10%, alors il réduit sa consommation de carburant et ses émissions de 27%”.

De quoi impacter lourdement le secteur maritime qui représente déjà 3% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit quasi autant que les émissions produites par l’Allemagne par exemple. 90 % des biens consommés dans le monde sont acheminés par la mer.

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