Aussitôt acheté, aussitôt revendu. Début juin, le géant de l’e-commerce Shein a dévoilé aux Français sa plateforme en ligne dédiée à la seconde main. Baptisée “Shein Exchange”, cette nouvelle fonctionnalité basée sur l’historique d’achat des clients permet d’acheter et de vendre en seulement quelques clics des produits d’occasion de la marque. Après un lancement aux Etats-Unis en 2023, où plus de 4 millions d’utilisateurs se sont inscrits, la France devient le premier pays européen à avoir accès à la plateforme, qui sera ensuite ouverte au Royaume-Uni et à l’Allemagne.
Un choix motivé par les fortes attentes des consommateurs français soucieux de leur impact environnemental, selon l’entreprise. “Nous souhaitons offrir à nos clients des moyens de contribuer facilement à l’économie circulaire”, assure dans un communiqué Caitrin Watson, directrice du développement durable de Shein. Un argument qui peine à convaincre. “Avec Exchange, il suffit d’un clic pour revendre un article, c’est redoutable. Au final, cela pousse encore davantage à la consommation”, nous explique Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France.
Des usines aux portes de l’Europe
En misant sur le maché de l’occasion, Shein reprend également la main sur l’ensemble du cycle de consommation de ses clients, jusqu’alors habitués à vendre leurs articles sur des applications dédiées, comme Vinted. Sur la plateforme, plus de 22 millions de produits Shein sont aujourd’hui référencés. Mais si l’enjeu est principalement commercial, il est également réputationnel. Depuis l’adoption par les députés français en mars dernier de la loi “anti fast-fashion”, la marque multiplie en effet les annonces.
Récemment, Shein a ainsi communiqué sa volonté de délocaliser une partie de sa production en Turquie. “Nous renforçons le développement de notre réseau de fournisseurs en Turquie afin de raccourcir la distance jusqu’à nos consommateurs”, nous expliquait l’entreprise en avril dernier. Une manière de rassurer clients et potentiels investisseurs, à plusieurs égards. Le but, selon la marque, est de réduire l’usage du fret aérien, sur lequel elle s’appuie de manière croissante pour raccourcir ses temps de livraison.
Il s’agit aussi pour Shein de s’aligner sur les pratiques de ses concurrents. “Les consommateurs ont déjà l’habitude d’acheter des produits fabriqués en Turquie”, souligne auprès de Novethic Laëtitia Lamari, analyste e-commerce. De nombreuses marques comme Zara ou H&M se fournissent auprès des usines turques, l’industrie de la mode représentant 40% de la production industrielle du pays. S’installer aux portes de l’Europe permettrait également d’apaiser les tensions géopolitiques qui tendent à freiner son ascension en Occident.
Une entrée en bourse chahutée
Dans cette perspective, le géant chinois a déposé dans le courant du mois de juin “des documents confidentiels auprès de la Financial Conduct Authority du Royaume-Uni en vue d’une éventuelle introduction en bourse (IPO)”, rapporte le Financial Times. La plateforme viserait une valorisation à 50 milliards de livres, soit plus de 58 milliards d’euros. Mais l’opération reste encore incertaine. Les régulateurs chinois, qui soutiendraient plutôt une introduction à Hong-Kong, n’ont pas encore donné leur feu vert. De plus, l’entreprise n’en est pas à sa première tentative.
Avant de se tourner vers Londres, Shein avait initialement effectué une demande d’IPO aux Etats-Unis. Déposée fin 2023, celle-ci n’a cependant toujours pas abouti face à une forte opposition des sénateurs américains, inquiets des risques sociaux pesant sur la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise et d’une potentielle ingérence chinoise. Du côté du Royaume-Uni, la City et le parti travailliste semblent pour l’heure favorables à une cotation de Shein sur le marché britannique.
“Londres a tout intérêt à attirer un gros acteur comme Shein alors que sa place de marché accuse du retard face à Amsterdam ou Francfort suite au Brexit”, estime Jean-Marc Megnin, retail analyst, interrogé par Novethic. Mais là aussi, la contestation monte. Tandis que le British Fashion Council s’est dit “préoccupé” quant aux impacts sur l’industrie du prêt-à-porter, plusieurs ONG de défense des droits humains, dont Labour Behind the Label et Stop Uyghur Genocide ont appelé le gouvernement à mettre un coup d’arrêt à l’opération. Le débat devrait encore se poursuivre, alors que le pays s’apprête à voter lors des élections générales, le 4 juillet prochain.