Airbus ne livrera pas ses avions à hydrogène en 2035, comme il l’avait prévu. Ces dernières semaines, plusieurs syndicats du groupe ont révélé que l’avionneur envisageait un décalage de 5 à 15 ans et une baisse des investissements pour le projet ZEROe qui visait à développer trois concepts d’avions à hydrogène. Face à ces révélations, le géant européen de l’aéronautique a été contraint de confirmer, début février, son intention de réduire la voilure sur le projet. “Le développement d’un écosystème autour de l’hydrogène, représente un défi majeur qui nécessite une collaboration et des investissements à l’échelle mondiale”, explique Airbus, dans un communiqué et auprès de l’AFP. Il pointe les progrès “plus lents que prévus” concernant “la disponibilité de l’hydrogène produit à partir de sources d’énergie renouvelables à grande échelle”.
Quelques mois plus tôt, c’est Universal Hydrogen, l’un des pionniers du secteur qui travaillait notamment sur des avions régionaux à hydrogène liquide, qui avait du fermer ses portes faute de financements, et ce malgré plusieurs avancées technologiques. Dans ce cas comme dans celui d’Airbus, ce sont des difficultés structurelles d’ordre économique et industriel qui expliquent ces revirements. Alors que la filière européenne de l’hydrogène vert semble avoir du mal à se structurer à la hauteur des fortes attentes qui avaient émergé ces dernières années, l’avion à hydrogène est pour l’instant cloué au sol.
Pas de business model pour l’avion à hydrogène
“Le vrai problème, c’est qu’il n’y a pas aujourd’hui de business model pour l’avion à hydrogène car l’ensemble de la chaîne de valeur est trop complexe. Un retard de devéloppement sur un maillon de cette chaîne et c’est l’ensemble de la filière hydrogène qui stagne”, explique ainsi à Novethic Yannis Sadoudi, ingénieur spécialisé dans le secteur et ex-salarié d’Universal Hydrogen. En cause ? Le coût encore trop élevé de l’hydrogène, qu’il soit sous forme liquide ou gazeuse, les difficultés d’acheminement, l’absence d’infrastructure logistique adaptée… “Tout le monde se regarde, et personne n’avance, car les coûts d’entrée sont trop élevés”, ajoute Yannis Sadoudi.
Il faut dire que, malgré les annonces d’investissements très importants qui s’étaient enchaînées au début des années 2020, rien ne semble se passer. En France, selon le baromètre annuel France Hydrogène, les capacités d’électrolyse nécessaires pour produire de l’hydrogène vert n’ont pratiquement pas progressé entre 2023 et 2024, passant de 30 mW à 35. Bien loin des objectifs pourtant inscrits dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui fixent un objectif 200 fois plus élevé pour 2030, à 6,5 gW.
Depuis des mois maintenant, les acteurs de l’industrie hydrogène réclament un soutien plus actif des Etats européens afin de pouvoir faire mûrir la filière. Les acteurs industriels voudraient notamment pouvoir bénéficier des aides publiques à la production, comme ce fut le cas des producteurs d’électricité renouvelable, afin de rendre l’hydrogène bas carbone compétitif et encourager la demande. Mais les Etats rechignent. Selon Les Echos, les experts français du Secrétariat général pour l’investissement s’apprêteraient par exemple à réduire le montant des aides à la filière.
Situation bloquée pour la filière
Dans un contexte de tensions budgétaires, la plupart des Etats européens adoptent la même stratégie, arguant qu’ils ne peuvent pas investir tant que la demande pour l’hydrogène n’a pas décollé. L’oeuf, ou la poule… La situation est telle que les premières giga-factories construites ces dernières années en Europe pour fabriquer des électrolyseurs pour la production d’hydrogène bas carbone, annoncent déjà réduire leur production, afin de ne pas mettre sur le marché des électrolyseurs que personne n’est prêt à faire tourner.
Même chose à l’échelon européen. Malgré la boussole compétitivité annoncée par la Commission en février, les débats autour d’une hausse significative des dépenses publiques européennes pour les technologies bas carbone avancent peu. “Il faut aussi avoir en tête que l’Intelligence artificielle ou les deeptechs absorbent beaucoup des investissements publics et privés en ce moment”, remarque Yannis Sadoudi.
Seuls les usages dits “stationnaires” de l’hydrogène, pour décarboner les procédés de l’industrie lourde notamment (métallurgie, sidérurgie, etc.), semblent pour le moment susciter l’intérêt des investisseurs et des acteurs publics. TotalEnergies et AirLiquide viennent d’ailleurs d’engager une co-entreprise visant à produire de l’hydrogène bas carbone pour décarboner les procédés pétrochimiques du géant pétrolier. Quant à l’hydrogène pour la mobilité, les projets sont pratiquement tous en stagnation.
Pas de “volonté politique” pour l’avion à hydrogène
Les avionneurs n’ont donc pas vraiment intérêt à s’engager à produire des technologies que personne ne pourra utiliser, faute d’hydrogène disponible à un coût acceptable et d’infrastructures adaptées pour alimenter les avions. D’autant plus qu’à ces blocages industriels s’ajoutent de nombreux autres freins : difficultés techniques à surmonter, environnement réglementaire pas adapté, etc. Dans son rapport sur la décarbonation du transport aérien, le Shift Project analysait ainsi que “pour des raisons de maturité technologique” sur l’ensemble de la filière, l’avion à hydrogène ne serait disponible de manière significative “qu’après 2040, et seulement pour les avions court / moyen-courrier”.
Mais encore faudrait-il qu’un véritable projet politique soutienne ces développements. Comme l’explique Carlos López de la Osa, responsable technique de l’aviation chez Transport & Environnement, association spécialisée dans la transition bas carbone des mobilités, “construire des avions à hydrogène serait économiquement faisable [à condition de] créer un marché pour les avions à zéro émission, en taxant les carburants fossiles et en rendant obligatoires les avions à zéro émission à l’avenir”. Pour l’heure, aucun Etat n’a décidé d’avancer sur cette question en fixant des objectifs contraignants de transition au secteur aérien, comme cela a été fait dans le transport automobile. Sans volonté politique, l’avenir de l’avion à hydrogène pourrait donc avoir pour quelques années encore du plomb dans l’aile.