Publié le 25 avril 2014
SOCIAL
Rana Plaza : les responsabilités juridiques restent à déterminer
Un an après l’effondrement de l’usine textile bangladaise qui a fait plus de 1130 morts et 2000 blessés, des associations tentent de traduire devant la justice les responsables de la catastrophe.

© MUNIR UZ ZAMAN / AFP
Dans le drame du Rana Plaza, le pire accident industriel qu’a connu le pays et le plus important de l’histoire du textile, "les propriétaires du bâtiment et des usines, l’Etat, les autorités locales et les marques ont failli à leurs obligations". C’est ce qu’affirme à la tribune de l’Assemblée nationale française (1), Sara Hossan, avocate à la Cour suprême bangladaise spécialisée en droit commercial et en droits humains.
"Le Rana Plaza fait suite à de nombreux autres accidents et incendies meurtriers, rappelle la juriste. A la suite de l’effondrement de Spectrum en 2005 (où plus de 60 personnes ont trouvé la mort, NDLR) des documents montraient que de nombreux bâtiments de la zone de Savar, où sont concentrées la plupart des usines textiles de Dacca, nécessitaient des inspections de sécurité urgentes. Ces fameux documents ont disparu et sont ressortis par magie après le Rana Plaza! Le risque était donc connu : les autorités ont failli à leur mission de législation et ni les propriétaires des usines, ni les marques qui contractaient avec elles n’ont pris les mesures de sécurité qui s’imposaient".
Au Bangladesh, les propriétaires du Rana Plaza sous les verrous
"Dès le lendemain du drame, nous avons déposé des plaintes d’intérêt général devant la Cour suprême", ajoute Sarah Hossain, qui est également membre de BLAST, une association de juristes bénévoles investie dans la cause des femmes et des ouvrières. "La réaction a été forte et rapide", se réjouit-elle. Mais essentiellement envers les propriétaires du Rana Plaza.
Quelques jours après la catastrophe, le propriétaire du bâtiment, Sohel Rana a effectivement été arrêté par la police près de la frontière indienne, alors qu’il tentait de fuir le pays. Ecroué depuis, il risque désormais une inculpation pour meurtre. Un chef d’accusation passible de la peine de mort au Bengladesh. Ce militant du parti au pouvoir est devenu l’ennemi public n°1 : les rescapés ayant souligné que les ouvriers avaient été obligés de reprendre le travail malgré d’énormes fissures découvertes la veille dans le bâtiment.
En plus de Sohel Rana, près de 40 personnes (propriétaires de l’immeuble ou des usines qui y étaient installées) devraient être inculpées dans l’affaire pour avoir ignoré les mises en garde sur ces fissures selon la police bangladaise. Selon les enquêteurs, des ingénieurs, des inspecteurs ayant donné leur feu vert à l'utilisation de l'immeuble sans l'avoir inspecté et des cadres intermédiaires de l'usine seront aussi inculpés. "Nous espérons pouvoir exposer les chefs d'accusation d'ici le mois prochain", a précisé à l’agence de presse ATS, l'enquêteur principal Bijoy Krishna Kar. En attendant, la Cour suprême a gelé les comptes bancaires des propriétaires au profit de compensations versées (à terme) aux victimes.
Quelle responsabilité pour les donneurs d’ordre ?
Mais Sara Hossain et son association entendent poursuivre leurs actions : "nous trouverons les moyens de traduire en justice tous les responsables, assure-t-elle. Les autorités comme les entreprises donneuses d’ordre".
En France, des députés de la majorité et des associations, réunis dans une alliance inédite, veulent passer à l’étape suivante. Ils ont déposé une proposition de loi destinée à instaurer un devoir de vigilance et une responsabilité juridique pour les sociétés mères envers leurs filiales et sous-traitants à l’étranger pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise et que "l’impunité offerte aux multinationales par la mondialisation économique et financière cesse", selon les mots de William Boudon, président de l’association de juristes Sherpa.
Trois organisations non gouvernementales (ONG) sont même allées plus loin, ce jeudi 24 avril, en déposant une plainte contre le groupe Auchan devant le parquet de Lille. Ces trois ONG tentent ainsi de faire reconnaître que les engagements éthiques de l’enseigne constituent une pratique commerciale trompeuse.
Accusée par ses détracteurs (notamment au sein des organisations patronales) de manquer de solidité juridique, la proposition de loi a reçu, mardi 16 avril, le soutien de plusieurs juristes et avocats reconnus. Elle est également portée par quatre groupes politiques (socialistes, écologistes, radicaux et communistes), cinq syndicats (Cfdt, CFTC, CGT, CFE-CGC et FO) et sept Organisations non gouvernementales (CCFD-Terre Solidaire, Amnesty, Sherpa, Collectif Ethique sur l’Etiquette, Peuples Solidaires, Les Amis de la Terre, Terres des Hommes). Mais pas encore par le gouvernement. Les députés à l’origine de cette initiative, Danielle Auroi (EELV), Dominique Potier (PS) et Philippe Noguès (PS), espèrent que le nouveau Premier ministre saisisse l’occasion de l’anniversaire du drame pour s’intéresser à la question.
(1) Le sujet a été évoqué le 16 avril dernier lors du colloque organisé par le Cercle pour la responsabilité sociétale des multinationales consacré à la tragédie du Rana Plaza et la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales.