Publié le 14 février 2023

SOCIAL

Turquie : Corruption et guerre aggravent les conséquences du tremblement de terre du siècle

Il a fallu une semaine pour que les Nations Unies déclarent l’état d’urgence pour le tremblement de terre qui a dévasté la Turquie et la Syrie. Pourtant c’est le pire désastre naturel de ces cent dernières années en Europe selon l’OMS. Si l’intensité du séisme explique le nombre de morts et l’effondrement général des constructions, la corruption, le clientélisme et la localisation dans une zone particulièrement éprouvée par la guerre en Syrie, conjuguent leurs impacts. La catastrophe est une nouvelle épreuve pour des populations déplacées, confrontées à la conjugaison des crises au Moyen Orient.

Turquie tremblement de terre ZEIN AL RIFAI AFP
Des sauveteurs cherchent des survivants dans les décombres le 12 février.
ZEIN AL RIFAI / AFP

Des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers de blessés privés de tout par des températures glaciales, le bilan du tremblement de terre extrêmement violent qui a secoué la Turquie et le nord-ouest de la Syrie le 6 février, est encore provisoire. Cette catastrophe naturelle d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter qui compte 8 niveaux, est d’une ampleur sans précédent depuis un siècle en Europe. Pourtant l’aide tarde, la mobilisation européenne est faible au point où les organisations humanitaires brandissent la menace de flux migratoires massifs pour tenter d’obtenir les moyens médicaux et financiers nécessaires. En Turquie l’organisation du relogement d’au moins un million de sans-abri dans un pays où se sont réfugiés trois millions de Syriens fuyant la guerre civile depuis une douzaine d’années, s’avère extrêmement complexe. 

La colère est grande contre les dirigeants du pays et en particulier le premier d’entre eux, Recep Erdogan dont le parti l’AKP avait été porté au pouvoir à cause des carences du gouvernement turc lors du dernier tremblement de terre qui avait fait près de 20 000 morts en 1999. Il est accusé d’avoir failli dans l’organisation des secours mais aussi d’avoir tenté de faire taire la colère des Turcs en coupant Twitter une douzaine d’heures et en empêchant l’information de circuler via les réseaux de téléphonie mobile, ce qui a limité les appels à l’aide internationale. Il est aussi accusé d’avoir étouffé la société civile en jetant en prison ses opposants et en centralisant au maximum le pouvoir ce freine l’organisation de secours à échelle locale.

Des "amnisties de construction"

Mais c’est la corruption et le rôle des promoteurs immobiliers qui n’ont pas respecté mes obligations d’adaptation des constructions aux normes anti sismiques qui sont surtout dénoncés. L’écrivaine turque, Elif Shafak, qui vit à Londres a écrit dans le Financial Times : "La triste vérité est qu'un nombre alarmant de bâtiments dans ma patrie ne sont pas conformes au code. Des autorisations officielles ont été accordées là où elles n'auraient jamais dû être accordées. Ce ne sont pas seulement les bâtiments résidentiels qui se sont effondrés mais aussi les bâtiments municipaux, y compris les hôpitaux qui avaient été ouverts en grande pompe. La Turquie compte un nombre incroyable de scientifiques et d'ingénieurs, et nombre d'entre eux ont supplié les autorités de prêter attention au danger imminent, mais leurs voix n'ont jamais été entendues par ceux au pouvoir. Au contraire : ils ont été accusés de "semer la peur".

Elle ajoute : "L’AKP accordait périodiquement des "amnisties de construction" aux bâtiments qui défiaient de manière flagrante les réglementations antisismiques. Jusqu'à 75 000 bâtiments ont bénéficié de telles amnisties dans la seule zone du tremblement de terre, selon Pelin Pınar Giritlioğlu, chef d'Istanbul de l'Union des chambres d'ingénieurs et d'architectes turcs. Une nouvelle amnistie a eu lieu quelques jours seulement avant que la catastrophe ne se produise."

"Là où il n'y a pas de démocratie, il y a forcément plus de souffrances humaines"

La conjugaison des crises qui frappent de façon plus aigue certaines parties du monde, donne une idée des effets de cascade de chaque catastrophe naturelle dont l’ampleur et la puissance sont aggravées par le changement climatique.  Quand elles se déroulent dans des zones déjà dévastées par la guerre et le manque d’eau, les conséquences sont gravissimes et ont des répercussions dans des pays qui se sentent très protégés parce que très loin de l’épicentre. 

Les experts militaires étudient les liens entre changement climatique et guerre pour l’accès à l’eau et à des territoires vivables. Ils établissent des liens entre les menaces terroristes et des catastrophes naturelles dues au changement climatique comme les sécheresses dramatiques d’Irak et de Syrie. Tout est lié rappelle Elif Shafak : ’"il existe une corrélation entre le manque de démocratie dans un pays et le niveau de destruction laissé à la suite de catastrophes naturelles. Dans une démocratie qui fonctionne, les personnes au pouvoir peuvent être tenues responsables, un système de freins et contrepoids contrôlera les dépenses et le public sera informé de chaque étape. Là où il n'y a pas de démocratie, il y a forcément plus de souffrances humaines."

Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic


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