Publié le 25 février 2023
SOCIAL
Guerre hybride russe en Afrique : un front de propagande ouvert sur les réseaux sociaux (3/3)
La guerre de Poutine en Ukraine a permis de mesurer que les règles de la guerre avaient changé ou plutôt qu’elles étaient pulvérisées dans un monde de communication globale digitalisée. Si depuis un an les victimes ukrainiennes sont aussi bien civiles que militaires, l’affrontement se déroule aussi sur un autre front : celui de la communication. En Afrique devenue théâtre d’opérations privilégiées pour la milice Wagner, la Russie mène une guerre ouverte à la France et à son Président. Les ressources naturelles du continent et l’appui des pays africains dans les instances onusiennes sont en jeu.

@Florent Vergnes via AFP
Vous n’avez sans doute pas vu les petits films d’animation diffusés massivement par la milice Wagner via les réseaux sociaux en Afrique. Ils sont pourtant édifiants. Dans le premier, la France et son président sont des rats qui dévorent le garde-manger d’un Africain paisible. Il est sauvé par un milicien de Wagner venu détruire le rat qui s’est engraissé à coup de marteau. Dans le second, un soldat malien est impuissant à freiner une armée de zombies français, mais la milice Wagner vient le sauver tout comme d’autres soldats burkinabés en détresse qui repoussent ainsi l’ennemi. On peut voir cela comme des vidéos de propagande dont personne n’est dupe sauf que les moyens de diffusion massifs dont dispose la Russie en font une arme puissante de déstabilisation de son ennemi occidental, dont la France qui vient d’être forcée à quitter le Burkina Faso.
L’utilisation de film d’animation aux messages caricaturaux est très efficace parce qu’ils sont uniquement visuels ce qui fait des ravages dans des pays très connectés aux langues multiples. En 2020, près de 500 millions de personnes avaient un abonnement de smartphone en Afrique de l’Ouest. La croissance a été de 180% sur la période 2008-2018 et le nombre de smartphones devrait largement dépasser les 610 millions en 2025. Même si les infrastructures de connexion ne sont pas encore à la hauteur des besoins qui grandissent très rapidement, la guerre de propagande que mène la Russie est redoutable. La milice Wagner utilise la stratégie de partage de vidéos par WhatsApp dont les Africains sont de très grands utilisateurs. Le taux de pénétration de la messagerie instantanée de Meta dépasse les 95% chez les utilisateurs de smartphones du continent.
Une arme de désinformation massive
La guerre a de tout temps été associée à une propagande massive plus ou moins sophistiquée selon les pays ciblés. Pour la première Guerre du Golfe, en 1991, l’Irak de Saddam Hussein utilisait des codes proches de ceux de la Première Guerre Mondiale en Europe. Il montrait des images de femmes hurlant sur des décombres fumants qui permettaient d’accuser l’ennemi américain de s’en prendre aux victimes civiles désarmées. Pendant ce temps-là, la propagande américaine faisait croire au monde entier que l’armée irakienne était la quatrième armée du monde et donnait les premières images de guerre virtuelle aseptisée, ressemblant à des jeux vidéo où étaient détruites des cibles identifiées par des technologies sophistiquées.
La guerre d’Ukraine qui se déroule dans un contexte où les réseaux sociaux sont une arme de désinformation massive, est la première guerre hybride menée par l’un des champions cyber mondiaux : la Russie. Cette dimension virtuelle d’une sale guerre lui permet d’engranger des succès plus faciles car elle rencontre beaucoup moins de résistance. "Son succès révèle en creux la persistance d’un problème non résolu, celui d’une certaine inadaptation des outils de défense occidentaux à des formes de guerre qui ont pu être décrites tantôt comme “irrégulières”, “asymétriques”, de “basse intensité” ou de “quatrième génération”", explique, dans la Revue Défense nationale, Elie Tenenbaum, chercheur à l’IFRI et auteur, avec Marc Hecker, de La Guerre de vingt ans (Robert Laffont, 2021) cité par le Monde dans un article sur la guerre hybride.
Dans la revue de Défense Nationale le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, explique lui que "des modes d’action hybrides, souvent imprévisibles, privilégiant l’intimidation et la manipulation deviennent massifs et qu’il faut que la France fasse peser, à son tour, de l’incertitude pour créer de la surprise chez l’adversaire par la ruse et des modes d’action innovants". Cette guerre de la désinformation qu’est par nature la propagande, quel que soit le camp qu’elle défend, est devenue essentielle à l’heure où les rapports de force militaires, diplomatiques, spatial, économique ou juridique se déroulent aussi bien dans le monde réel que virtuel.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic