Publié le 08 février 2021
SOCIAL
[Édito] Faire payer aux jeunes l’addition d’un monde qui craque, c’est hypothéquer l’avenir !
De l’Europe à la Birmanie en passant par la Russie, les tensions du moment sont aussi celles d’un conflit de générations et d’une grande bataille de modèles, entre celui de l’autoritarisme plus ou moins éclairé et celui d’une société plus horizontale où s’inventent de nouveaux modes de production et de consommation pour faire face au déchaînement de crises multiples, changement climatique, perte de biodiversité, explosion des inégalités…

@AFP/STR
Les visages des manifestants qui protestent en Birmanie contre la reprise de pouvoir par la junte militaire sont jeunes, très jeunes. Ils lèvent trois doigts en signe de ralliement pour dire qu’ils n’ont pas peur et veulent le rétablissement du parti d’Aung San Suu Kyi qui avait gagné les élections législatives.
En Russie, les visages et les vêtements sont différents mais la situation est comparable. Plus de 10 000 personnes ont été arrêtées et les jeunes, souvent mineurs, continuent à exprimer leur soutien à Alexei Navalny, qui s’oppose à Vladimir Poutine. Ce dernier incarne jusqu’à la caricature la posture de l’homme viril qui instaure un rapport de force permanent et joue de ses muscles cultivés par toutes sortes de disciplines sportives. Ceux qui n’ont connu que lui expriment leur désir de vivre dans un pays libre "où les gens ne sont pas emprisonnés d’un claquement de doigts sans procès et sans enquête".
Ingénieurs et médecins
En Europe, les jeunes ne sont plus beaucoup dans la rue. Aux Pays-Bas quelques-uns ont manifesté, surchauffés par le couvre-feu, en France les étudiants paupérisés et assignés à résidence s’épuisent à suivre des cours en visio quand ils n’ont pas lâché des études qu'ils n’avaient pas vraiment commencé. "Si nous sacrifions la génération des 16-25 ans comme nous sommes en train de la faire dans cette crise, nous n’aurons plus d’ingénieurs ou de médecins dans vingt ans", alerte Jacques Attali, invité à la conférence annuelle de Sycomore Asset Management organisée virtuellement le 5 février.
Pourtant avant le COVID 19, les jeunes Européens emmenés par Greta Thunberg défilaient en nombre dans les grandes capitales pour demander un programme de lutte contre le changement climatique à la hauteur de l’enjeu. Depuis, les mesures drastiques prises pour tenter d’endiguer l’épidémie dont sont massivement victimes les plus âgés, ont fait reculer la démocratie dans leurs pays. Selon l’indice 2020 de The Economist publié début février, les libertés ont reculé dans 70 % des pays classés dans ce baromètre où la France fait désormais partie des démocraties défaillantes.
Or la démocratie qui permet de faire participer aux décisions et aux plans d’actions, des sensibilités différentes de tous âges et de toutes visions, est indispensable pour bâtir les plans qui permettent d’affronter autant de difficultés simultanées. Comme le rappelle Greta Thunberg, le déni de démocratie peut emmener celui de la science et le mandat de Trump a montré jusqu’où cela pouvait être destructeur pour l’environnement mais aussi pour la population la plus pauvre.
Science and democracy are strongly interlinked - as they are both built on freedom of speech, independence, facts and transparency.
If you don’t respect democracy then you probably won’t respect science. And if you don’t respect science then you probably won’t respect democracy.— Greta Thunberg (@GretaThunberg) February 6, 2021
Changer de modèle
Elle n’est pas seule à lier des sujets qui semblent éloignés au premier regard. Quand le jeune activiste ougandais Nirere Sadrach appelle à soutenir les paysans indiens qui protestent contre la libéralisation du marché des produits agricoles, il établit le lien entre le mouvement des jeunes africains contre le changement climatique et la protestation des fermiers indiens contre un modèle agro industriel auquel ils ont déjà payé un lourd tribut.
"There will be no climate justice without farmers justice".
~ @LicypriyaK #FarmersProstest— Nirere Sadrach (@SadrachNirere) February 4, 2021
Tous ces activistes essaient de faire émerger un nouveau modèle. C’est d’autant plus méritant qu’ils ne sont pas formés pour cela. Le mouvement étudiant pour un Réveil écologique vient de publier un rapport accablant selon lequel "Seuls 15 % des établissements sont prêts à former l’ensemble de leurs étudiants aux enjeux écologiques !".
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic