Publié le 17 décembre 2023
David contre Goliath. Manifestations, blocages des chantiers, plaidoyer à l’ONU… Depuis 2018, le peuple autochtone Wet’suwet’en se bat contre le passage d’un gazoduc sur ses terres ancestrales, en Colombie-Britannique (Canada). En vain, l’infrastructure est terminée et sera bientôt mise en service, malgré les atteintes aux droits humains et à l’environnement dénoncées par Amnesty International dans une enquête publiée le 11 décembre.

Lundi 11 décembre, au 130 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, une délégation d’Amnesty International patientait devant le siège de l’Ambassade du Canada, pour remettre en mains propres les conclusions de leur dernier rapport "Chassé.e.s de nos terres pour les avoir défendues". L’ONG y dénonce la campagne de criminalisation et de surveillance illégale que subissent depuis des années les défenseurs des terres wet’suwet’en. Car "au lieu de protéger les droits des populations autochtones, les autorités canadiennes protègent les intérêts des énergies fossiles", pointe à Novethic son chargé de campagne, Grégory Bianchi Perla.
Leur nom de ce côté de l’Atlantique ne vous dit probablement rien, mais les Wet’suwet’en défrayent pourtant très régulièrement la chronique au Canada. Depuis plus de 5 ans, ce peuple autochtone est en lutte contre le passage d’un gazoduc sur leurs terres. Selon Amnesty, aucun des 5 300 membres que compte cette communauté n’a donné "son consentement libre, préalable et éclairé" aux opérations de construction de ce géant d’acier long de 670 km, derrière lequel se trouvent les sociétés TC Energie et Coastal GasLink (CGL). Il doit relier à terme le nord de la Colombie-Britannique à la côte pacifique.

"Ils m’avaient enchaînée. J’avais des chaînes aux poignets et aux chevilles"


Barrages routiers, occupations du chantier ou encore blocages des lignes de chemin de fer… Entre 2018 et 2023, tout a été tenté par les Wet’suwet’en pour ralentir l’avancée des travaux. En 2019, la Cour suprême canadienne, saisie par CGL, a interdit l’accès au chantier aux Wet’suwet’en et à leurs sympathisants, sous peine d’être arrêté. Et dans ce cadre, quatre opérations de police de grande envergure ont été menées. "Ils ont franchi la porte de nos maisons avec des haches et des scies mécaniques. Des tireurs d’élite ont pointé des fusils sur nous, des chiens d’attaque sont sortis et nos maisons ont été détruites et brûlées", témoigne auprès de l’ONG le chef héréditaire Na’moks. Des raids dénoncés notamment par l’acteur Leonardo DiCaprio.


Au total, plus de 75 défenseurs des terres, ainsi que deux journalistes, ont été arrêtés et placés en détentions. 20 d’entre eux ont été poursuivis pour outrage criminel et non-respect de la décision de la Cour suprême, dont quatre devraient été jugés en janvier. L’une des sympathisantes Layla Staats se souvient : "ils m’avaient enchaînée, j’avais des chaînes aux poignets et aux chevilles. J’ai été emmenée au tribunal, je portais encore un vêtement d’intérieur. C’était difficile à vivre […] je me sentais tellement dégradée dans ce tribunal". Des conditions de détention et de comparution jugées comme "cruelles, inhumaines et dégradantes" par l’ONG international.

Une mise en service du pipeline prévue "d’ici à la fin de l’année"


Au-delà des droits humains, ce sont les atteintes à l’environnement qui sont pointées du doigt. "La destruction environnementale de notre territoire a un impact énorme sur notre peuple. Nous dépendons des saumons, de nos ruisseaux et de notre rivière", témoigne la défenseure des terres Molly Wickham. Des travaux pour lesquels TC Énergy a d’ailleurs été condamné à payer une amende de 346 000 dollars canadiens pour pollution et non-respect de la réglementation environnementale. À eux seuls, les peuples autochtones – qui ne représentent que 5% de la population  – protègent 80% de la biodiversité mondiale, et sont donc l’un des meilleurs remparts contre le changement climatique.
TC Énergy a annoncé le 31 octobre dernier que les travaux de ce pipeline sont désormais terminés, espérant une mise en service "d’ici à la fin de l’année". Une situation plus que paradoxale puisque le Canada – 4e producteur de pétrole et 5e producteur de gaz naturel au monde – a annoncé fin juillet mettre fin aux subventions accordées à l’industrie pétrolière et gazière qui ne seront pas conformes à l’Accord de Paris sur le Climat. En attendant, Amnesty International appelle aujourd’hui à ce que toutes les charges pesant sur les Wet’suwet’en soient abandonnées et que ce pipeline ne soit jamais utilisé. 
Blandine Garot

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