Publié le 03 février 2020
POLITIQUE
[Décryptage] Quel cap pour l’Angleterre post Brexit ?
Une fois essuyées les larmes du départ et rangés les drapeaux européens, vient enfin le temps des interrogations sur le modèle économique que veut Boris Johnson pour cette Angleterre qui largue les amarres sans annoncer ni la route qu’elle prend, ni le cap vers lequel elle se dirige.

@WiktorSzymanowicz/AFP
Le mystère du Brexit demeure entier après la rupture du 31 janvier 2020 pour laquelle tous les Anglais interrogés répétaient en boucle : "on va pouvoir passer à autre chose…" Sans doute mais quoi ? Ce week-end, la question a enfin émergé comme le montre la tribune du Financial Time "We still don’t know what Brexit means" (Nous ne savons toujours pas ce que le Brexit veut dire).
Le moins qu’on puisse dire c’est que Boris Johnson envoie des injonctions paradoxales. Il a passé les dernières semaines au chevet du Nord de l’Angleterre pauvre et "brexité", en annonçant la renationalisation du chemin de fer local et une stratégie plus globale de retour des services publics et donc de l’État afin de réindustrialiser cette région en déshérence.
Si politiquement, cela est cohérent pour celui qui a gagné les élections de décembre en promettant une accélération du Brexit à cette classe ouvrière déboussolée, nous sommes en revanche très loin du modèle prôné par l’autre groupe de partisans du Brexit. Celui-là est beaucoup plus riche, plus proche de la City et plus "Oxbridge", contraction qui désigne les anciens élèves de Cambridge et d’Oxford dont est issu Boris Johnson.
Singapour sur Tamise
Ils rêvent de faire de Londres un Singapour sur Tamise, ce qui suppose une stratégie de dumping fiscal et social aux portes de l’Europe en contradiction avec les attentes de la population du Nord. L’établissement d’un traité commercial spécial avec les États-Unis supposerait de plus un alignement sur la politique menée par Donald Trump détricotant toute réglementation environnementale qui ouvrirait la porte à la pêche la plus intensive dans la Mer du Nord ou à l’usage inconditionnel du glyphosate de plus en plus contesté en Europe.
Le drame auquel va être très vite confrontée la population britannique est qu’à aucun moment le débat politique n’a été posé en ces termes. Les méfaits, réels ou supposés, de l’Union européenne ont alimenté une machine à propagande dont Boris Johnson s’était fait une spécialité quand il était correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles. Le Brexit est donc devenu une réalité sur une promesse qu’il suffirait de larguer les amarres européennes pour faire redémarrer une économie nationale dynamique, le tout dans une économie totalement mondialisée où le Royaume Uni ne pèse pas si lourd que ça.
Son économie est d’ores et déjà très déséquilibrée puisque les services financiers y représentent beaucoup plus de 10 % du PIB. Il est donc tentant d’imaginer que Boris Johnson va construire le "succès retentissant" qu’il a promis le soir du 31 janvier, sur ce qui constitue finalement le seul fleuron de la couronne britannique déclinante : la City.
Miser sur la finance verte
Officiellement, elle serait même capable de rassembler les deux visions de l’économie post Brexit, en misant sur la finance durable. Le lord-maire de Londres, William Russel, a d’ores et déjà annoncé dans une tribune publiée le 27 janvier, l’ambition de la place financière de Londres de prendre un leadership mondial dans ce domaine. "Nous allons développer de nouvelles formes de collaboration, en levant les barrières à l’investissement et en modifiant notre économie pour qu’elle contribue à lutter efficacement contre le changement climatique", écrit-il.
Il conclut par "le Royaume-Uni a déjà pris la tête du financement de l’avenir durable et il est prêt à prendre sa part d’un futur plus propre et plus vert pour les entreprises et les citoyens". Cela ne serait pas le modèle prôné par l’Union Européenne à travers son Green Deal ?
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic