Publié le 29 mai 2020
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Plan d’économies chez Renault : entre crise de gouvernance et impasse stratégique
Renault est au plus mal. Ses ambitions dans la voiture électrique n’ont pas été atteintes et la crise du Covid-19 aggrave la situation. L’entreprise va se séparer de 8 % de ses 180 000 salariés. Cela touchera 4 600 emplois en France et une usine va fermer. Un plan massif alors que le groupe est en pleine crise de gouvernance. Renault n’a plus de direction stable depuis le renvoi de Carlos Ghosn, et son prochain directeur général n’arrivera qu’en juillet.

@EricPiermont/AFP
Quelques jours après l’annonce d’un gigantesque plan d’aide et de transformation de huit milliards d’euros de la filière auto, les mauvaises nouvelles attendues sont tombées du côté de Renault. Le constructeur automobile français a annoncé vendredi 29 mai la suppression d'environ 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France, dans le cadre d'un plan d'économies de plus de deux milliards d'euros sur trois ans.
En France, le plan devrait affecter quatre sites : Caudan (Morbihan), Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), Dieppe (Seine-Maritime) et Maubeuge (Nord). "Nous ne fermerons qu'un seul site à l'horizon 2022, sur nos 14 sites industriels en France, c'est Choisy pour lequel nous allons valoriser les compétences en région parisienne", a toutefois assuré le président du groupe, Jean-Dominique Senard, lors d'une conférence de presse.
Ce plan d’économies n’est pas seulement la réponse à une crise passagère d’un secteur. Les crises de gouvernance intimement liées aux choix stratégiques de long terme aggravent la situation. Dans le cas de Renault, c’est particulièrement vrai. Après avoir couvert toutes les frasques de Carlos Ghosn parce qu’il avait, avant tout le monde, prôné le tout-électrique pour les voitures, les échecs de cette stratégie n’ont pas été sanctionnés. Elle reposait sur une croissance de volumes de production qui devait amener la croissance de la part des voitures électriques dans les achats de voiture, oubliant au passage deux dimensions : la baisse inexorable de l’achat de voitures et le coût des modèles électriques qui restent très élevés.
Changer d’état d’esprit
Lors de la présentation de son plan stratégique "Alliance 2022" en septembre 2017, le PDG tout-puissant ambitionnait de vendre 14 millions de voitures sur six ans. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Non seulement, ces volumes n’ont jamais été atteints malgré le succès de la Zoé. Mais surtout en 2018, Carlos Ghosn a été arrêté au Japon. En 2019, il a pris la fuite au Liban et guerroie depuis, auprès de divers tribunaux dont les Prud’hommes français pour récupérer ses droits à la retraite de 250 000 euros.
Sans lui, son "Alliance 2022" s’est transformée en "Mise en échec 2020". L’actuelle dirigeante par interim, et directrice financière, Clotilde Delbos le dit elle-même : "Aujourd'hui nous payons le prix d'une stratégie (...) qui pariait sur une croissance record du marché", explique-t-elle lors d'une conférence avec des analystes. Elle critique très clairement l’ancien patron. "Nous devons changer notre état d'esprit" et "nous concentrer sur la performance financière et la génération de cash."
Mais le chemin va être difficile. Faisant face à la plus grave crise de son histoire, le groupe automobile continue à avoir une direction flottante. Après Carlos Ghosn, le groupe a connu un intermède tourmenté avec Thierry Bolloré, évincé brutalement en octobre 2019. Désormais, c’est l’ancien patron de Seat, l’italien Luca de Meo, qui est attendu pour redresser la barre. Nommé en janvier 2020, avant la crise du Covid-19, il ne prendra les commandes qu’au 1er juillet 2020 à cause de sa clause de non-concurrence.
Engagement d’une gouvernance temporaire
Son chantier sera considérable. Depuis plus de dix ans, baser l’avenir du secteur auto sur la seule vente de véhicules, thermiques ou électriques, semble très hasardeux alors que de nombreux modèles alternatifs émergent. Maintenir ce cap en réduisant simplement les coûts de fabrication est-elle une stratégie pérenne ? On peut s’interroger sur le fait qu’une gouvernance de transition engage l’avenir à ce point-là, d’autant plus que les montants concernés sont colossaux.
En outre, le Président de la République Emmanuel Macron avait réclamé mardi 26 mai "des garanties" pour l'avenir des salariés, avertissant qu'un prêt garanti par l'État (actionnaire à hauteur de 15 %) de cinq milliards d'euros ne serait pas signé avant la tenue de discussions programmées mardi 2 juin. De son côté, la CFDT du groupe dénonce un "projet de casse sociale et de désindustrialisation", affirmant qu'elle "se fera entendre par tous les moyens possibles".
Ludovic Dupin @LudovicDupin et Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic