Publié le 07 août 2019

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Les fautes éthiques poussent plus les patrons vers la sortie que les mauvais résultats financiers

Un coup de mou sur la rentabilité ? Une dispute avec le conseil d’administration ? Non, les départs forcés des dirigeants d’entreprises sont désormais plus souvent dus à leurs écarts de conduite. Selon l’enquête annuelle de PwC, 40 % des remerciements des patrons des entreprises cotées résultaient d’un manquement à l’éthique en 2018, le double de 2017. Une conséquence directe du mouvement #MeToo qui réclame aux entreprises plus de transparence.

PDG renvoye conseil d administration Gazometr
Les entreprises passent de moins en moins sous silence les manquements à l'éthique de leurs dirigeants.
@Gazometr

Les dirigeants d’entreprise ne peuvent plus dissimuler leurs écarts de conduite. Pour la première fois en 2018, les manquements à l’éthique ont constitué la première cause de départs forcés des patrons de grandes entreprises cotées, devant la mauvaise performance financière de l’entreprise ! Selon l’enquête annuelle de Strategy&, la filiale du cabinet PwC spécialisée dans le conseil en stratégie, près de 40 % des patrons remerciés l’ont été en raison d’un comportement inapproprié.

Fraude, corruption, délit d’initié, désastre écologique, CV mensonger et harcèlement sexuel font partie des raisons pour lesquelles des patrons ont dû être mis sur la touche. Dans le monde policé des conseils d’administration des entreprises cotées, cette statistique fait désordre. D’autant qu’elle ne cesse de grimper. En 2017, l’éthique n’avait été invoquée "que" dans 26 % des cas de remerciement, soit presque moitié moins qu'en 2018 ; entre 2007 et 2011, cela concernait 3,9 % des départs forcés.

Un contrôle accru

Les dirigeants de grands groupes sont-ils subitement devenus de dangereux criminels ? Non, selon l’étude de PwC. Il s’agit plutôt d’une évolution à la fois sociétale et des méthodes de gouvernance, qui se traduit par un contrôle accru des autorités réglementaires, mais aussi par une plus grande transparence demandée sur les cas de harcèlement sexuel en entreprise.

Cette évolution résulte notamment des conséquences de l’affaire Harvey Weinstein, qui avait initié le mouvement #MeToo sur les réseaux sociaux. Sous la pression médiatique, le fondateur de Miramax, la société de production cinématographique, avait dû quitter son poste suite aux accusations de harcèlement et de viol. Ce mouvement a entraîné de nombreuses révélations dans les milieux économiques qui se sont traduites par des départs de dirigeants de haut niveau.

Un article du Time Magazine dénombrait 414 dirigeants de tous secteurs de l’industrie ayant été accusés de mauvaise conduite dans les 18 mois ayant suivi le lancement du mouvement #MeToo, dont 190 ont été remerciés ou ont quitté leur poste volontairement.

Un fort mouvement de turnover en 2018

Parmi eux, Travis Kalanick, le cofondateur d’Uber, avait fait fortement parler de lui en 2017. Il avait dû se mettre en congé de son groupe en raison de la culture sexiste et discriminatoire qu’il a laissée s’installer dans l’entreprise. Insuffisant pour les investisseurs de ce fleuron de la Silicon Valley, qui ont réclamé son départ et l’ont poussé à la démission.

Cette pression sur le comportement éthique des dirigeants s’est faite de plus en plus forte au fil des mois, le risque de réputation se faisant trop grand pour les entreprises et leurs investisseurs. Le fonds de pension Calpers a ainsi demandé à ses participations de faire toute la transparence sur les éventuelles affaires de harcèlement. Intel n’a pas attendu que l’affaire s’ébruite, en 2018, lorsque l’entreprise a appris la relation extra-maritale de Brian Krzanich, son PDG, avec une employée. Le dirigeant a dû immédiatement quitter l’entreprise pour avoir contrevenu au code de conduite interne.

Cette tendance s’inscrit dans un intense mouvement de "turnover" des patrons d’entreprise en 2018. Le taux de rotation a atteint le niveau record de 17,5 %, contre 14,5 % l’année précédente. Parmi tous les départs recensés par Strategy&, la grande majorité était planifiée de longue date, seuls 20 % constituaient des départs forcés, une proportion en ligne avec les années précédentes.

En 2019, la tendance devrait se confirmer. Une autre étude portant sur 200 départs de dirigeants d'entreprises américaines et réalisée par le cabinet de recherche Exchange, montre que, depuis le début de l'année, 52 % des départs résultaient de décisions de la part du conseil d'administration ou des actionnaires. 

Arnaud Dumas @ADumas5


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