Publié le 19 septembre 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
La RSE est-elle devenue stratégique ? Le salon Produrable pourrait le laisser croire
Le rendez-vous annuel de l’économie durable a réuni pendant deux jours au palais des Congrès de Paris la fine fleur des représentants de la RSE et les porte-paroles du mouvement de déconstruction de l’économie, de Cyril Dion à Timothée Parrique. Avec ses milliers de visiteurs, le Salon Produrable donnait l’impression d’un mouvement en marche, celui d’une RSE à l’assaut des entreprises traditionnelles. Pourtant, celles-ci étaient en fait très absentes, ce qui contribue à creuser le fossé entre dirigeants et salariés sur la transformation durable des modèles actuels.

@Produrable
Quand on demande aux visiteurs du salon Produrable, massés dans les débats organisés mi-septembre au Palais des Congrès de Paris, combien d’entre eux ont déjà suivi une fresque sur le climat, ils lèvent quasiment tous la main. Témoignage parmi d’autres du phénomène de déploiement massif de ce jeu de cartes utilisé dans des ateliers pédagogiques pour se familiariser avec la science du climat. Sur les 1,2 million de personnes qui ont déjà participé à un atelier de La fresque depuis son lancement, en 2015, environs un tiers l’a fait au sein de son entreprise.
Plusieurs grands groupes ont programmé d’y faire passer l’intégralité de leurs salariés, ce qui représente des centaines de milliers de personnes, en France comme à l’étranger, dans des groupes comme Saint-Gobain, Bouygues, Orange, Renault, Vinci, Engie, Decathlon ou encore BNP Paribas. Cela contribue-t-il à réorienter la stratégie des entreprises et à décliner leurs engagements de neutralité carbone quand elles en ont ? Pas sûr ! Bon nombre d’entreprises ont mis en œuvre ces ateliers pour communiquer sur leurs engagements climat, pas forcément pour mobiliser leurs salariés sur des changements de stratégie majeurs.
Percer le plafond de verre
"Ces ateliers ont un impact, c’est indéniable", explique Alexandre Jubien, fresqueur (animateur) pour Les fresques du climat, du numérique et de la biodiversité…"Cela crée de vraies communautés entre les participants. Nos ateliers ne durent que trois heures mais ils bousculent vraiment ceux qui y assistent. Nous avons aussi de temps en temps des dirigeants que cela influence aussi mais c’est plutôt rare, tout comme leur participation."
La limite des capacités de transformation des organisations par la RSE est là. Elle devient une compétence réclamée dans de nombreux métiers mais est encore loin d’être portée au plus haut niveau stratégique pour servir de guide et d’appui aux politiques environnementales et sociales des entreprises. Apanage de spécialistes, elle a bien du mal à percer le plafond de verre qui l’éloigne de la sphère du conseil d’administration.
La grande majorité des exposants de Produrable sont ainsi des conseils ou des offreurs de service de formations et de traitement des données Environnementales, Sociales et de Gouvernance (ESG). Si dans les débats, des directeurs et directrices de développement durable d’entreprises comme Nestlé, Bouygues, Lagardère ou L’Oréal étaient bien présents, pas de têtes d’affiches, de dirigeants de premier plan venu expliquer à ces audiences convaincues comment ils mettent la RSE au cœur de leur stratégie.
Une affaire de spécialistes
Pourtant, une majorité des 50 plus grands groupes européens ont intégré des critères de ce type dans la rémunération de leurs dirigeants, y compris sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Beaucoup d’entreprises mettent en avant ces nouveaux critères pour justifier de leurs engagements climat. Mais ils ne doivent pas être suffisamment discriminants puisque la quasi-totalité des dirigeants obtiennent leurs bonus vert ou climat sans que la réduction des émissions de CO2 de leurs entreprises soit vraiment alignée sur la trajectoire de l’Accord de Paris (2°C maximum de réchauffement à la fin du siècle). D’ailleurs, le Grand Prix de l’Assemblée Générale, attribué en juin, n’a pas réussi à trouver de champion de la transition juste au sein du CAC 40.
De grands prix en salons dédiés, la RSE progresse, tout comme la sensibilisation des salariés aux risques climatiques. Ils peuvent ainsi devenir des sentinelles de l’intérieur freinant le greenwashing. Comme le rappelait, Cédric Ringenbach, le fondateur de La fresque du climat, dans une tribune à Novethic : "Les Fresqueurs ont dans les mains une arme de sensibilisation massive qui leur donne l’espoir d’atteindre la masse critique nécessaire à l’indispensable bascule écologique". Et d'ajouter : "Aujourd’hui, ceux qui ne se sont pas emparé des enjeux climatiques sont beaucoup plus nombreux que les autres. La fresque aide à passer à l’échelle."
Proposer des solutions et services pour développer l’économie durable comme le propose le salon Produrable contribue aussi à ce changement d’échelle. Pourtant l’idée que cela reste une affaire de spécialistes familiers de l’acronyme CSRD (la nouvelle directive européenne sur les données ESG que devront fournir les entreprises) persiste après un tour des stands. La contagion à d’autres organisations plus généralistes comme l’université du Medef ou les salons professionnels de chaque secteur tarde à venir.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic