Publié le 07 mars 2023
ENTREPRISES RESPONSABLES
RSE : la rémunération des dirigeants de plus en plus indexée sur le climat… mais avec peu d’effets
Les patrons des grandes entreprises européennes doivent de plus en plus rendre des comptes sur leur politique climatique. La majorité des 50 plus grands groupes européens ont mis en place des critères sur les émissions de gaz à effet de serre dans le calcul de la rémunération de leurs dirigeants. Mais ces critères demeurent bien peu ambitieux… Presque tous les dirigeants réussissent à débloquer leurs "bonus verts", alors que leurs entreprises peinent à démontrer leur action climatique.

@ScottGraham via Unsplash
La rémunération des dirigeants des grands groupes européens est de plus en plus indexée sur la stratégie RSE de leur entreprise. Une étude britannique de PwC et de la London business school montre que 82% des dirigeants des 50 plus grandes entreprises européennes ont des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs critères de rémunération. Parmi eux, 76% voient leurs parts variables indexées spécifiquement sur des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de leur entreprise. Toutes ces entreprises se sont par ailleurs dotées de plans de réduction de leurs émissions.
Une bonne nouvelle, en apparence. Car, malgré ces incitations financières, la trajectoire des grands groupes européens est encore loin des objectifs définis par l’Accord de Paris pour contenir le réchauffement climatique à 1,5°C. Sur les 50 entreprises étudiées, 14 font ainsi partie de la liste des grands émetteurs de gaz à effet de serre du Climate Action 100+, la coalition d’investisseurs mondiaux, à l'instar d'Airbus, Air Liquide, TotalEnergies, BASF, Stellantis, etc. La coalition estime justement dans son rapport d’octobre 2022 que les sociétés affichent surtout des engagements climatiques, mais bien peu de stratégies de décarbonation crédibles.
Risque de simplement payer plus les dirigeants
C’est aussi le constat posé par l’étude de PwC et la London business school. "Les niveaux actuels de paiement des bonus ne semblent pas cohérents avec les progrès très lents que nous observons sur le changement climatique", remarque ainsi dans l’étude Tom Gosling, l’un des directeurs du Leadership Institute de la London business school. Intégrer des critères ESG dans les rémunérations a longtemps relevé de la bonne pratique des entreprises. Mais aujourd’hui, elle ne suffit plus. Pour qu’elle permette de réellement améliorer la trajectoire climatique des entreprises, encore faut-il qu’elle soit rédigée de manière suffisamment claire et contraignante… "Si ce n’est pas le cas, il y a un risque que cette pratique résulte seulement en une rémunération plus élevée et non pas en plus d’action climatique", résume le chercheur.
C’est précisément ce qui semble se passer, puisque les objectifs climatiques ont été très facilement atteints par les managers des grands groupes… bien plus que leurs objectifs financiers. Selon l’étude, ils ont perçu en moyenne 86% de leur bonus climatique, alors qu’ils ne touchent en moyenne que 75% de leurs bonus financiers. Et la moitié des 50 entreprises ont même versé 100% du "variable vert" à leurs dirigeants. Les cibles de réduction d’émissions semblent avoir été placées à un niveau bien faible, ce qui ne pousse pas à transformer le modèle d’affaires de l’entreprise.
14% d’entreprises aux pratiques claires et transparentes
Les comités de rémunération des entreprises restent par ailleurs très peu diserts sur les modes de calcul des parts variables climatiques, avec des pratiques très variées. Certaines se contentent ainsi de noyer les objectifs de réduction d’émissions au sein de critères ESG, sans plus de précisions. D’autres, beaucoup moins nombreuses, prévoient un critère spécifique pour le carbone en le liant directement à la stratégie de l’entreprise. Seuls 14% des 50 grands groupes présentent ainsi des pratiques satisfaisantes avec des objectifs suffisamment ambitieux, mesurables, transparents et liés de façon claire à la stratégie de l’entreprise. Parmi ces mieux-disants se trouvent l’assureur Axa, l’industriel suisse ABB, le groupe pharmaceutique AstraZeneca ou encore la banque espagnole Santander.
L’amélioration des pratiques de rémunération n’est toutefois pas toujours synonyme d’entreprises vertes : un gros émetteur de gaz à effet de serre peut mettre en place des critères climatiques clairs et transparents. Le groupe emportant la palme de la transparence selon l’étude est ainsi TotalEnergies, qui a mis en place des rémunérations pour ses managers liées directement aux cibles de réduction de gaz à effet de serre du groupe pour 2025. Le pétrolier, qui fait l’objet de procès par des ONG dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance, n’est pourtant pas connu pour être un champion du climat...