Publié le 01 juin 2023

ENVIRONNEMENT

La fresque du climat est-elle trop dépolitisée ? Réponse dans une tribune exclusive

La Fresque du climat, qui propose des ateliers de formation sur le réchauffement climatique, est devenue une institution. Plus de 1,1 million de personnes ont été ainsi formées. Mais cette Fresque a été épinglée dans une chronique du Monde parce qu'elle invisibiliserait les "racines politiques et idéologiques du réchauffement". Le président fondateur de la Fresque de climat, Cédric Ringenbach, répond ici dans une tribune exclusive.  

Fresque du climat MaryLou Mauricio

Mary Lou Mauricio

Créée en France en 2015, la Fresque du climat a été traduite dans 45 langues et exportée dans plus de 130 pays. Outil pédagogique se présentant comme "neutre et objectif", il se fonde sur les données issues des rapports scientifiques du Giec pour sensibiliser les participants aux changements climatiques. À travers un jeu de cartes, il tente "d’engager les individus dans un échange constructif".

Le 23 avril dernier, dans une chronique intitulée "La Fresque du climat invisibilise les racines politiques et idéologiques du réchauffement", le journaliste Stéphane Foucart a épinglé la Fresque après avoir suivi un atelier de formation. S’il la juge utile alors que 37 % des Français demeurent climatosceptiques, il pointe un défaut crucial : la Fresque "n’aborde le réchauffement que sous son aspect technique. Elle en fait un problème physio-chimique, une question de sciences naturelles".

Le président fondateur de la Fresque du climat, Cédric Ringenbach a voulu répondre aux critiques du Monde dans une tribune que Novethic publie ici en exclusivité. 

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Urgence climatique : Comment inventer les solutions sans avoir compris le problème ?

par Cédric Ringenbach, Président fondateur de la Fresque du climat

Sujet sensible mais ô combien vital et incontournable pour l’avenir de l’humanité, l’urgence climatique divise alors qu’elle devrait rassembler. La chronique "Ne pas dépolitiser l’enjeu climatique" de Stéphane Foucart parue dans Le Monde en est la preuve. Sa vision de notre action nous semble restrictive et erronée et les nombreuses réactions de la part de celles et de ceux qui s’engagent pour informer et sensibiliser le plus grand nombre nous conduisent à prendre la parole sur le rôle et la place de la sensibilisation.

Comme beaucoup d’autres initiatives, la Fresque a choisi le parti de la vérité, même si elle dérange. Nous assumons d’interpeller les esprits, quitte à nous retrouver parfois devant des participants un peu en détresse face à ce constat implacable : le changement climatique est là et les humains que nous sommes en sont responsables. Non seulement ce constat est catastrophique, mais les moyens à mettre en œuvre pour contrer le changement climatique semblent encore hors d’atteinte quand on connaît l'étendue et la profondeur des transformations à opérer ainsi que les ordres de grandeur.

Une sensibilisation nécessaire

Pour autant, nous menons avec engagement ce pari qui consiste à embarquer le plus grand nombre d’individus et d’organisations, toutes tendances confondues. Nous mettons sur le devant de la scène un sujet universel, pour lequel les réponses sont éminemment politiques, afin que l’ensemble des citoyens s’en saisissent. Il s’agit de rendre accessibles les connaissances scientifiques et de mettre les enjeux climatiques au cœur des débats citoyens et de l’agenda politique. La sensibilisation aux enjeux climatiques n’est pas suffisante pour déclencher l’action, mais elle est nécessaire. Ce n’est pas parce qu’elle n’a pas encore montré tous ses effets qu’elle est inutile. Pour agir, il faut comprendre, et la sensibilisation est sans aucun conteste la première brique du passage à l’action.

Certes, le Giec publie des rapports depuis plus de 30 ans et les émissions de gaz à effet de serre n’ont cessé d’augmenter pendant ce laps de temps. Mais cela ne veut pas dire que le travail du Giec ne sert à rien. Loin du caractère performatif du savoir craint par M. Foucart, la mise à disposition des connaissances est un préalable à l’action. Comment des gouvernements pourront-ils être crédibles en proposant des politiques climatiques à la hauteur s’ils ne se basent pas sur des rapports sérieux et incontestables ? Pourquoi les citoyens se donneraient-ils la peine de changer leurs habitudes s’ils n’ont pas la garantie qu’il y a une bonne raison à cela ? En quoi les entreprises seraient-elles fondées à s’engager auprès de leurs actionnaires à baisser leurs émissions de CO2 s’il n’y avait pas un consensus scientifique solide sur le climat ?

Après avoir été mises à disposition, ces connaissances doivent être diffusées. C’est là qu’intervient la Fresque du Climat qui s’est donné comme mission d'accélérer la compréhension des enjeux climatiques pour contribuer à déclencher, au plus tôt, les bascules nécessaires à la préservation du vivant. Pour y arriver, elle s’appuie précisément sur les travaux du Giec et en assure la diffusion auprès du plus grand nombre. Alors, que manque-t-il à la sensibilisation pour déclencher cette bascule ? Deux choses : le passage à l’échelle et une courroie de transmission vers l’action politique.

Le passage à l’échelle

La Fresque permet le passage à l’échelle. Nous le savons depuis 2018, quand, après avoir monté en deux semaines la première "Fresque géante" pour 900 étudiants, nous avons déclenché une dynamique dans laquelle des dizaines puis des centaines de Fresqueurs se sont engouffrés avec engagement et confiance. Ils sont maintenant 50 000. Cette hausse exponentielle nous a fait passer de mille à un million de personnes sensibilisées en cinq ans et nous ne comptons pas nous arrêter là.

Les Fresqueurs n’ont pas la même légitimité que les scientifiques et ils ne sont pas là pour les remplacer. Mais ils ont dans les mains une arme de sensibilisation massive qui leur donne l’espoir d’atteindre la masse critique nécessaire à l’indispensable bascule écologique. Il s’agit d’un défi immense, mais aussi d’une opportunité de bâtir une société plus juste, équitable et durable. Pour cela, il faut respecter une deuxième condition : le passage à l’action politique. Et c’est précisément l’objet de la seconde partie de l’atelier.

Une courroie de transmission vers l’action politique

Comme le rappelle le Giec, le climat est un bien commun. Or, la politique n’est rien d’autre que la gestion des communs. La crise climatique est donc, par essence, une question politique. Toujours d’après le Giec, la décrue de nos émissions nécessite de prendre des mesures politiques et d’avoir des États forts. Lorsque vous assistez à un atelier de la Fresque du Climat, vous commencez par poser des cartes qui sont des composantes du changement climatique, puis vous êtes invités à participer à un débat sur les solutions à mettre en place, que ce soit au niveau des individus, des entreprises ou de l'État.

Que se passe-t-il lors de cet échange ? L’animateur n’est pas là pour proposer des solutions, mais pour les faire émerger du groupe. Cette posture est importante pour l’atelier et pour le projet et si nous rassemblons autant, c’est précisément parce que nous avons cette posture de neutralité qui nous permet de laisser parler et d’entendre toutes les sensibilités et de toucher tous les publics. Cela veut-il dire que nous invisibilisons la dimension politique du sujet comme l’affirme Stéphane Foucart dans sa chronique ? Certainement pas ! Car mettre la question du climat à l’agenda du débat citoyen est déjà, en soi, un acte politique.

Ce sont les participants qui décideront de parler de décroissance ou de croissance verte, de sobriété ou de solutions technologiques, de prédation, de domination, de capitalisme, de temps de travail, etc. Mais c’est l’atelier qui leur aura permis de le faire. Ce sont les participants qui feront le débat car c’est à eux de le faire. De même que le Giec ne fait pas de recommandations, mais délivre des informations utiles à la décision, la Fresque du Climat n’apporte pas non plus de solutions, mais ouvre un espace pour débattre des solutions. Des entreprises, des écoles, des associations décident d’organiser des ateliers de la Fresque du Climat et, à l’arrivée, ce sont toujours des citoyens qui se retrouvent en agora pour parler du futur de l’humanité.

Synergies

Stéphane Foucart s’interroge sur une version 2 de la Fresque du Climat ?  Elle existe déjà ! Ce sont tous les ateliers qui ont été développés, parfois en s’inspirant du principe pédagogique ou du mode de diffusion de la Fresque du Climat : Inventons nos vies bas carbone, 2 Tonnes, Road to Net Zero, MyCO2, la Fresque du Numérique, celle de la biodiversité, The Week, Climate School, etc.

Nous avons choisi de copier la nature et d’entretenir autour de nous un réseau d’actrices et d’acteurs producteurs de contenus complémentaires et nous mettons en œuvre avec eux toutes sortes de synergies, à l’image du rhizome qui relie les racines des arbres, distribue l’information et mutualise les ressources. Ces ateliers donnent les ordres de grandeur, couvrent d’autres domaines ou prolongent l’exercice de réflexion sur comment mener la transition écologique et passer à l’action politique.

Nous pensons que chacun doit prendre sa place dans la transition écologique. Personne ne peut sauver le monde à lui seul, mais chacun doit faire sa part. Nous sommes une minorité à avoir pris la juste mesure des enjeux climatiques et il faut nous résoudre à accepter l’idée suivante : les solutions les plus géniales pour sauver le climat viendront de celles et ceux qui ne se sont pas encore emparés de ces sujets. La raison est simple, elle est imparable, elle est statistique : ils sont tellement plus nombreux que nous ! Alors il est temps d’aller les chercher car c’est ensemble qu’on y arrivera et c’est bien ça la dimension politique du projet.


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