Publié le 22 novembre 2018
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Affaire Ghosn : un scandale qui illustre la montée en puissance des lanceurs d'alerte dans les entreprises
Comme UBS, Danske Bank, Cambridge Analytica, l’affaire Carlos Ghosn a été mise au jour par un lanceur d’alerte. Un nouveau cas qui illustre la montée en puissance des lanceurs d'alerte dans le monde de l'entreprise, dans un contexte d'exigences croissantes en termes de transparence.

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Qui a lancé l'affaire Ghosn et pour quelles raisons ? Selon des médias japonais, l'informateur à l'origine de l'enquête, qui appartiendrait au service juridique de Nissan, aurait fourni ses informations dans le cadre d'une négociation de peine. "La culture de la dénonciation n'est pas très établie au Japon", souligne Jenny Corbett, chercheur à la Fondation pour les études australo-japonaises.
Le cas Ghosn peut donc "suggérer l'existence de tensions internes ou d'une lutte pour le pouvoir au sein de l'entreprise". Mais pour Patrick Wiedloecher, du Cercle d'éthique des affaires, le fait que le salarié de Nissan ait pu être motivé par des intérêts personnels, et que son initiative puisse être utilisée à des fins politiques, n'ôte pas à cet informateur son caractère de "lanceur d'alerte" si les faits dénoncés s'avèrent être réels. Surtout, l’affaire est symptomatique d’un mouvement "plus vaste" touchant le monde économique.
Lame de fond
Ces dernières années, de nombreux salariés ont mis sur la place publique les pratiques illégales de leur entreprise, avec à la clé des scandales retentissants, allant de l'évasion fiscale ("Luxleaks" et autres) à l'utilisation frauduleuse de données informatiques (Cambridge Analytica). Cette "lame de fond", d’ampleur mondiale, est portée par une volonté de "lutter contre l'abus de pouvoir", analyse Nicole-Marie Meyer, responsable du programme Alerte éthique à Transparency International France.
"Les dirigeants politique et économiques sont de plus en plus appelés à rendre des comptes aux citoyens", ajoute-t-elle. Le "phénomène touche tous les secteurs et tous les types d'entreprise", souligne de son côté Patrick Widloecher, qui attribue ce phénomène à l'appétit croissant des citoyens pour la "transparence", mais aussi aux efforts mis en place pour mieux protéger les lanceurs d'alerte. En France, une "maison des lanceurs d'alerte" vient même d'être lancée par 17 associations pour les aider au quotidien.
Le signe d’une bonne santé de l’entreprise
Dans une récente étude menée aux États-Unis, en Asie et en Europe (1), un cadre sur deux déclarait avoir été concerné par un lancement d'alerte, soit comme initiateur, soit comme destinataire. "Aujourd'hui, rien ne reste caché très longtemps : l'information circule très vite", rappelle Patrick Widloecher. "L'économie de marché est une économie de la confiance. Les entreprises doivent inspirer confiance, sinon elles se mettent à la merci de leurs concurrentes".
Dans une étude publiée mi-novembre par la Harvard Business Review, deux chercheurs américains, Stephen Stubben et Kyle Welch, assurent d’ailleurs que les "lanceurs d'alerte sont le signe d'entreprises en bonne santé". "Les entreprises qui utilisent plus activement leurs systèmes de détection internes peuvent identifier et résoudre les problèmes en interne avant qu'un litige ne devienne vraisemblable", expliquent-ils.
Ces systèmes revêtiraient même "une importance capitale pour la réalisation des objectifs de l'entreprise". Et d’affirmer que celles qui "utilisent le plus activement" sont "généralement plus rentables" et pérennes.
Béatrice Héraud avec AFP
(1) Étude du cabinet d'avocats Freshfields Bruckaus Deringer publiée fin 2017, menée auprès de 2 500 personnes aux États-Unis, en Asie et en Europe.