Publié le 22 juin 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Casino, endetté, accuse le média la Lettre A d'avoir fait chuter son cours de bourse
Le groupe Casino n’a pas aimé les révélations faites par La Lettre A sur les négociations en cours sur un changement d’actionnaires. Le distributeur a lancé une procédure en justice en diffamation contre le média, et demandé plus de 13 millions d’euros de réparations. Une somme inhabituelle dont l’objectif est l’intimidation, selon le rédacteur en chef de La Lettre A.

@Jeff Pachoud / AFP
La saga du groupe Casino se poursuit. Selon des révélations du journal Le Monde, le distributeur a assigné en justice La Lettre A devant la chambre de la presse du tribunal correctionnel de Paris. Casino reproche au média d’avoir publié une série d’articles révélant les dessous de la procédure de rachat en cours du groupe. Ce procès pour diffamation est assorti d’une demande de réparation de 13,7 millions d’euros, soit plus que les 8 millions d’euros de chiffre d’affaires d’Indigo publications, le groupe de presse auquel appartient la Lettre A. "Le montant des réparations demandées est inhabituel devant cette chambre, il y a une volonté d’intimidation pour entraver la couverture du groupe Casino par La Lettre A", déplore auprès de Novethic Octave Bonnaud, le rédacteur en chef du média.
La plainte de Casino porte sur une série de neuf articles parus entre le 27 avril et le 14 juin. Une trentaine de passages dans ces articles sont attaqués comme étant des affirmations fausses, selon La Lettre A. "Nous maintenons l’intégralité de nos informations qui sont rigoureuses et vérifiées", assure Octave Bonnaud. "Notre couverture est exemplaire, avec des articles circonstanciés qui posent le problème de la dette de Casino, ce qui est un fait incontestable", ajoute-t-il.
Des difficultés financières de longue date
Pour justifier le montant des réparations demandées, le groupe de distribution invoque la baisse du cours de son action qu’aurait entraînée la diffusion des articles. Les déboires rencontrés par Casino sont pourtant bien antérieurs à ces articles. Dès 2015, le fonds d’investissement alternatif Muddy Waters publiait un rapport dévoilant l’endettement record du groupe constitué par Jean-Charles Naoury, au moyen d’une constellation de sociétés holdings. Depuis, les problèmes se sont accumulés, les banques lui ont retiré leur confiance, les agences de notation de crédit ont abaissé sa note et le titre a chuté de 47% depuis janvier.
Le groupe est depuis plusieurs mois entré en négociation avec ses créanciers pour restructurer sa dette et cherche des repreneurs potentiels. Deux offres concurrentes sont actuellement à l’étude, celle du milliardaire Daniel Kretinsky et celle du trio Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Moez-Alexandre Zouari.
"Si nous étions des manipulateurs du cours de Bourse, la plainte aurait été déposée à l’AMF ou au Parquet national financier", constate Octave Bonnaud. Jean-Charles Naouri a justement été placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête du Parquet national financier (PNF) début juin pour ce même motif. "Il impute la perte boursière au messager, va-t-il aussi demander des millions d’euros au PNF ? Casino nous intéresse d’un point de vue politico-économique, nous ne sommes pas un journal de conseil en placements financiers. Jean-Charles Naouri cherche à interrompre la couverture du groupe", estime Octave Bonnaud. Ce type de procédure est en général qualifié de procès-bâillon, une procédure qui vise à empêcher la presse d'enquêter sur les affaires. La Lettre A ne veut cependant pas se laisser intimider et prévoit déjà de publier d’autres articles sur le distributeur dans les prochains jours.
Procédure abusive
D’autant que ce n’est pas la première fois que des procès sont intentés contre le média spécialisé dans les révélations sur le milieu des affaires. Le média Konbini avait attaqué en diffamation La Lettre A pour un article de 2019 dans lequel était révélé le nom d’un actionnaire de Konbini, celui de la famille Perrodo, propriétaire de la compagnie pétrolière Perenco. Le tribunal a estimé dans un jugement d’octobre 2022 que les informations étaient vraies et n’étaient donc pas diffamatoires. Le juge a en revanche condamné Konbini pour procédure abusive, estimant que le but de la procédure était d'empêcher les critiques émises à l'encontre de l’entreprise.
Le juge a reconnu à la Lettre A, et la presse en général, le droit de faire des révélations et d’émettre des opinions critiques. Reste à savoir si la procédure lancée par le groupe Casino connaîtra la même issue.