Publié le 18 janvier 2018
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
BlackRock, le plus puissant gestionnaire d’actifs au monde, appelle les entreprises à œuvrer pour le bien commun
Dans une lettre envoyée aux patrons des entreprises dont il est actionnaire, BlackRock les invite à travailler plus activement pour le bien de la société. Une prise de position qui pourrait changer les mentalités car elle provient du plus grand gestionnaire d’actifs de la planète, avec 6 000 milliards de dollars en portefeuille... soit deux fois le PIB de la France !

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"Pour prospérer au fil du temps, toute entreprise doit non seulement produire des résultats financiers, mais également montrer comment elle apporte une contribution positive à la société. Les entreprises doivent bénéficier à l’ensemble de leurs parties prenantes, dont les actionnaires, les salariés, les clients et les communautés dans lesquelles elles opèrent." Ces mots sont ceux de Larry Fink, le fondateur du plus grand gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock. Il les a écrits, le 12 janvier, dans une lettre destinée aux patrons des entreprises dont la société de gestion est actionnaire.
Un tournant pour l’investissement ?
BlackRock représente 6 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, soit plus de deux fois le PIB de la France. La société est le premier actionnaire d’une société américaine sur cinq. Elle détient des parts de géants tels que Walmart, Chevron, Apple, Exxon… ou encore d’une bonne partie du CAC40. Cette prise de position, venant d'un organisme aussi influent, interpelle donc le monde des investisseurs.
D'autant qu'elle fait écho aux réflexions menées à travers le monde sur la question de l’impact social et le rôle des entreprises. Aux États-Unis, de plus en plus d'entre elles se positionnent sur les questions de société comme les droits LGBT ou ceux des migrants. Et des investisseurs demandent des comptes aux entreprises sur leur politique climatique ou sociétale.
Pour Andrew Ross Sorkin, l'éditorialiste financier du New York Times, il pourrait s’agir d’un "moment décisif pour Wall Street, de ceux qui soulèvent des questions liées à la nature intrinsèque du capitalisme". Et de citer un expert de la Yale School of management, Jeffrey Sonnefeld : "Prendre une telle position sur son portefeuille est énorme pour un investisseur institutionnel" et un signal fort pour les autres grands gestionnaires d’actifs.
La reconnaissance de la performance globale
Ce prisme sociétal n’est pas déconnecté de son intérêt pour la performance financière des entreprises. Selon Larry Fink, "les attentes du grand public à l’égard [des] entreprises n’ont jamais été aussi grandes. La société exige que les entreprises, à la fois publiques et privées, se mettent au service du bien commun". Si une entreprise n’intègre pas ces dimensions elle finira par perdre sa "licence to operate" (son droit d’exercer). Et après avoir sacrifié ses investissements sur l’autel du court terme, elle "distribuera in fine des rendements plus bas aux investisseurs", écrit-il.
Cette préoccupation n’est pas non plus soudaine. BlackRock est déjà signataire des PRI, un organisme international destiné à promouvoir l’investissement responsable. En 2014, Larry Fink partait en croisade contre le court terme dans sa lettre aux dirigeants. L’an dernier, il indiquait également que la diversité et le climat seraient deux priorités pour Black Rock dans les deux prochaines années.
L’exemple du climat
Petit bémol toutefois : la position de BlackRock sur le climat montre qu’il peut y avoir un décalage entre les paroles et les actes. En 2016, le géant affirmait qu’il était "temps pour tous les investisseurs de s'intéresser au changement climatique". Pourtant, cette année-là, le gestionnaire ne votera aucune résolution en Assemblée générale sur le climat. De quoi qualifier sa politique climatique d’"hypocrite", selon Asset Owners Disclosure Project (une organisation demandant plus de transparence).
2017 marque une petite amélioration. Contre l’avis des dirigeants d’Exxon, BlackRock vote une résolution d’actionnaires en faveur de plus de transparence climatique de la part du pétrolier. Mais cela est loin d’être systématique : cette même année, il n’a voté que 2 % de résolutions de ce genre. Au même moment, des banques comme Goldman Sachs en ont voté jusqu’à 50 %.
Une position que le gestionnaire d’actifs assume : BlackRock s’est toujours prononcé en faveur du dialogue actionnarial par rapport à un activisme actionnarial, jugé contre-productif et énergivore. Toutefois, dans sa lettre, Larry Fink annonce donc un "nouveau modèle d’engagement actionnarial" avec le doublement des effectifs de son équipe gouvernance sur les trois prochaines années.
Béatrice Héraud @beatriceheraud