Publié le 23 mai 2014
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
A Londres, "apprendre à poser la question qui tue" en Assemblée Générale
La saison des assemblées générales (AG) d’entreprises bat son plein. Dans ces grands messes, des actionnaires toujours plus nombreux questionnent les dirigeants sur des problématiques environnementales ou sociales. C’est l’une des formes de l’engagement actionnarial. Mais mieux vaut avoir les codes lorsque l’on souhaite évoluer dans ce type d’arène. En Angleterre, l’association Share Action anime des ateliers ouverts à toute personne désireuse de faire progresser l’investissement responsable. Reportage.

© Amandine Alexandre
Dans le quartier de London Bridge, une vingtaine de personnes se pressent dans les locaux de Share Action (ex-Fair Pensions). A l’heure de la sortie des bureaux, elles viennent assister à un atelier consacré à l’actionnariat militant pour apprendre à interpeller les dirigeants des entreprises sur des problématiques environnementales, sociales ou de gouvernances (ESG), lors des assemblées générales annuelles.
Sur place, les participants sont accueillis avec une tasse de thé et un document de trois pages intitulé : "Cinq conseils pour poser la question qui tue". Avec cet atelier gratuit de deux heures, l’organisation indépendante Share Action espère recruter de nouveaux militants prêts à réclamer publiquement des comptes aux dirigeants des grandes entreprises. En Angleterre, il suffit, pour assister à une assemblée générale (AG), de posséder une action achetée directement auprès d’un courtier.
Certaines personnes assistent à l’atelier dans le cadre de leur travail pour des organisations non gouvernementales comme Oxfam, Transparency International ou encore le WWF (World Wide Fund). D’autres sont venues à titre personnel comme Julian Brooks, un chef d’entreprise qui a quelques économies placées en bourse. Il se dit "particulièrement préoccupé par l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales". Tous ont en commun de vouloir apprendre à poser une question dérangeante lors de l’AG d’une entreprise. Leur ambition: faire bouger les lignes en matière de respect de l’environnement ou de respect des droits humains.
Tenue correcte exigée
Mais il leur manque encore les règles de ce jeu très codifié. Pour les aider, Jo Beardsmore, de Share Action, leur explique le B.A.-BA de l’engagement actionnarial. "Certaines AG peuvent être très impressionnantes, prévient Jo. L'AG de BP s’est déroulée dans un immense palais des Congrès où les gens étaient fouillés à l'entrée, comme dans un aéroport"! Selon l’expert, la meilleure technique consiste alors de se fondre dans la masse. "Il faut être bien habillé et bien se tenir, conseille-t-il aux apprentis actionnaires militants. Si vous vous comportez de façon crédible, vous serez pris au sérieux". Mais lorsque l’on a le micro en mains, pour faire mouche, pas de miracle : mieux vaut avoir préparé à l’avance son intervention, la fameuse "question qui tue".
"Nous ne prétendons pas qu'assister à une assemblée générale va permettre de remporter un combat du jour au lendemain, reconnaît Jo Beardsmore. Mais cela peut être une façon d'établir un dialogue avec une entreprise". En l’espace de quelques années, ce dialogue peut aboutir à des avancées importantes. Barrie Stead, un septuagénaire londonien formé par Share Action, peut en témoigner.
Cet avocat à la retraite milite depuis longtemps pour que les grandes entreprises versent un salaire décent à tous leurs employés. Une somme leur permettant de vivre dignement de leur travail (1). Mais c’est en 2011 que Barrie effectue ses premiers pas en tant qu’actionnaire militant. Il assiste à l'époque à l’AG de Legal and General, une entreprise qui propose des services financiers et des produits d’assurance, cotée au FTSE 100, l’indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées cotées à la bourse de Londres. Il y exprime son mécontentement au sujet de la politique salariale de l’entreprise. En 2012, il remet ça. Entre les deux AG, il envoie quelques courriers afin de se rappeler au bon souvenir des dirigeants.
Un an plus tard, en 2013, Legal and General adopte le "living wage" et annonce à ses actionnaires qu’elle exige désormais de ses sous-traitants qu’ils paient eux aussi un salaire décent à leurs employés. Barrie a alors droit aux remerciements de l’un des responsables de Legal and General. "Il m’a dit que l’entreprise dépensaient moins d'argent en formation parce qu’il y avait moins de turnover au niveau du personnel", rapporte fièrement ce petit actionnaire.
Faire avancer la cause de l’investissement responsable
Les succès remportés par Share Action ne sont pas tous aussi rapides. Mais, depuis sa création à la fin des années 90, l’organisation a indéniablement fait avancer la cause de l’investissement responsable. L’an dernier, après une question posée en AG par Share Action sur leurs liens avec le lobby américain ALEC (American Legislative Exchange Council) qui s’était opposé à un contrôle plus strict des armes à feu aux Etats-Unis, les laboratoires pharmaceutiques Astra Zeneca et Glaxo Smith Kline ont annoncé qu’ils ne verseraient plus d’argent à l’organisation.
Cette année, Share Action a déjà permis à 60 personnes de poser des questions aux conseils d’administration d’une quarantaine d’entreprises. D’après Catherine Howarth, la directrice de l’organisation, "plusieurs de ces entreprises se sont d’ores-et-déjà engagées à poursuivre le dialogue au sujet du living wage (1) ou de la précarité énergétique en dehors des assemblées générales".
(1) En Angleterre, le "living wage" (littéralement, le salaire qui permet de vivre) s’élève actuellement à 7,65 livres par heure pour les salariés qui travaillent en dehors de Londres. Dans la capitale, il est estimé à 8,80 livres par heure. Dans le pays, le salaire minimum légal est de 6,31 livres par heure.