Publié le 01 août 2019
ENVIRONNEMENT
[Reportage] La ruée vers le sable à bord du Stellamaris, un navire extracteur français
La demande en sable, déjà la deuxième ressource la plus consommée au monde devant le pétrole, va exploser dans les années à venir. Utilisé majoritairement dans la construction, il est source de tensions dans plusieurs régions du monde où les plages sont littéralement vidées. Loin de ces images désastreuses, la France a mis en place des normes environnementales strictes et la profession assure un suivi des impacts. Reportage à bord d’un des quatre navires extracteurs qui sillonnent nos côtes.

@Concepcion Alvarez
L’odeur de sable mouillé est lancinante. Même quand le bateau est vide. Comme si l’air à bord en était toujours imprégné. Cela fait près de deux heures que nous naviguons au large de La Rochelle, sur le Stellamaris, un navire battant pavillon français d’une centaine de mètres de long. Le sablier ralentit peu à peu : nous sommes arrivés sur la zone de dragage qui s’étend sur un kilomètre carré.
C’est là que le sable présent au fond de la mer va être aspiré par un bras articulé de 60 mètres que l’on appelle l’élinde. Celle-ci est entièrement manœuvrée depuis la timonerie. Elle est lentement dépliée et plongée dans l’eau, à 40 mètres de profondeur. Pendant une heure trente, le bateau qui n’avance plus qu’à un nœud, va peu à peu se remplir de sable. Au total, 2 800 mètres cubes vont ainsi être puisés au fond de l’océan Atlantique.
Une activité très réglementée ...
"Les granulats marins (sable extrait des fonds marins, ndr) sont des fragments de roche d'origine terrestre qui ont été charriés par les fleuves il y a plusieurs centaines de milliers d’années avant d’être submergés par l’océan" détaille Laëtitia Paporé, présidente de la Commission granulats marins pour l’Union Nationale des Producteurs de Granulats (l’UNPG). "C’est une ressource non renouvelable à l’échelle humaine mais pas à l’échelle de la planète."
Dans un contexte mondial marqué par la raréfaction du sable, deuxième ressource la plus consommée au monde devant le pétrole, son utilisation est devenue polémique. Selon l’OCDE, la demande va presque doubler d’ici 2060, passant de 28 gigatonnes aujourd’hui à 55 gigatonnes en 2060. Or le rythme d’extraction est supérieur à celui du renouvellement et certains experts estiment que les plages n’existeront plus à la fin du siècle.
"Ça ne concerne pas la France", tranche d’office Laëtitia Paporé, tandis que le navire opère un demi-tour sur la concession et continue de draguer le sable. "Des normes environnementales très strictes encadrent l'activité. Il faut compter dix ans d’instruction et trois autorisations administratives soumises à enquête publique. La profession a par ailleurs mis en œuvre des protocoles scientifiques afin de mieux surveiller et suivre les impacts liés à l’exploitation des granulats en mer. Il ressort que ceux-ci sont localisés, limités dans le temps et réversibles."
... mais contestée localement
Les quatre cales du Stellamaris se remplissent peu à peu sous le bruit assourdissant des tuyaux qui crachent en continu le sable mélangé à l’eau. Le trop-plein est rejeté au fur et à mesure que nous avançons. À l’arrivée au port, il ne reste sous nos pieds que le nouvel or jaune du XXIe siècle. L’un des sept membres d’équipage jette l’ancre. Le navire est raccordé à un pipeline sur le port. Le déchargement peut commencer.
En France, l’extraction de granulats marins représente six millions de tonnes par an sur les 300 millions de tonnes de sable produites. On compte quatre navires sabliers comme le Stellamaris et 19 concessions réparties dans l’Atlantique et la Manche. Celles-ci répondent de 20 à 60 % aux besoins locaux pour la construction selon la logique du "bon matériau, au bon endroit et pour le bon usage". "Les granulats marins ne font pas plus de 50 kilomètres, leur vocation n’est pas de voyager" insiste la spécialiste de l’UNPG.
Après un ballet des eaux de deux heures, les cales sont de nouveau vides et le sable envoyé dans des bassins de décantation sur le port. L’équipage, lui, est prêt à repartir. Les rotations vers la zone de dragage vont s’enchaîner ainsi pendant sept jours avant un changement de personnel. "Essayez de pas trop nous étriller dans votre papier, on a déjà assez de mal à défendre notre activité...", nous lance un marin alors que nous débarquons. À La Palmyre, en Charente-Maritime, le projet d'extraction de granulats marins a récemment été enterré après une forte mobilisation locale qui dénonçait un projet "criminel" pour les plages et les poissons. D'autres concessions en France sont également contestées.
Concepcion Alvarez, envoyée spéciale à La Rochelle (Charente-Maritime)