Publié le 18 décembre 2014
ENVIRONNEMENT
Marée noire du golfe du Mexique : l’argent de BP, un cadeau empoisonné ?
Il y a 4 ans, l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater provoquait une catastrophe écologique. Aujourd’hui, les régions sinistrées aux Etats-Unis, celles situées autour du golfe du Mexique, s’apprêtent à recevoir leur part des dédommagements versés par le pétrolier BP. Une indemnisation mise en place dans le cadre d’une loi votée en 2012. Mais sa mise en œuvre se révèle complexe. Avec le risque, déjà identifié par plusieurs associations, de gaspiller cette manne financière dans des projets bien loin de la restauration de l’écosystème.

© Chris Graythen / Getty Images North America / AFP
Après la marée noire, une marée d’argent. Quatre ans après l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, les régions sinistrées sont sur le point de recevoir les premiers dollars versés au titre de dédommagement par le pétrolier BP et ses coaccusés. La loi "Restore act" prévoit ainsi de redistribuer 80% de cette manne financière au niveau local. Mais le processus est long et particulièrement complexe. Et il suscite beaucoup de convoitises.
Des milliards de dollars en jeu
Depuis la mi-octobre, les responsables locaux peuvent candidater auprès du département du Trésor pour recevoir une partie des fonds. Selon la définition, très large, qu’on trouve dans le "Restore act", ils doivent présenter des projets pour "restaurer l’écosystème et l’économie". Les candidats sont nombreux: cinq Etats (Louisiane, Mississippi, Alabama, Texas et Californie), et à l’intérieur de ces Etats, des dizaines de comtés qui ont aussi droit à leur quote-part. Pour tous, il y a beaucoup d’argent en jeu: plusieurs milliards de dollars au total, dont 650millions environ ont déjà été provisionnés par BP dans un fonds spécial.
Le problème, c’est qu’il est impossible de savoir dans le détail combien chacun va recevoir. Le montant global des dédommagements versés par BP n’est en effet pas définitif, la procédure judiciaire étant toujours en cours. "Il y aura sans doute plusieurs versements, répartis sur des années. C’est très difficile dans ces conditions de s’engager sur des projets à long terme. On navigue vraiment à vue", s’alarme Kevin Kane, le président du Pelican Institute, spécialisé dans l’analyse des politiques publiques.
Gare aux dérapages
Pour faire les bons choix, la Louisiane a, bien malgré elle, un avantage sur les autres sinistrés. Comme elle a été victime en 2005 de l’ouragan Katrina et qu’elle lutte en première ligne depuis des années contre le réchauffement climatique, elle peut ressortir des projets enfouis dans ses cartons depuis longtemps, évalués et validés par des scientifiques. Les priorités ont ainsi été déjà identifiées: recréer des marais et limiter l’avancée de l’eau salée dans les zones humides.
Ailleurs, gare aux dérapages. "Iy a tellement d’argent qui va se mettre à couler qu’il y a un risque de gaspillage. En tant que responsable politique, il peut être tentant de proposer des projets plus glamour que la reconstruction d’une digue", met en garde Kevin Kane. A Biloxi, dans le Mississippi, des millions pourraient par exemple être investis dans un stade de base-ball. L’Etat d’Alabama, lui, a donné son feu vert à la construction d’un centre des congrès et d’un hôtel en bord de mer. "C’est un usage complètement inapproprié de l’argent, ce n’est pas du tout dans l’esprit de la loi", s’agace Jordan Macha, l’une des expertes du réseau Gulf Restoration, qui a décidé d’attaquer ce projet devant la justice.
Se faire conseiller pour investir dans le long terme
Au-delà de ces dérapages grossiers, pour beaucoup de petites localités, le cadeau est presque trop gros. Charlotte Randolph, la présidente du comté de Lafourche, en Louisiane, n’hésite pas à dire que ce travail à plein temps dépasse largement ses compétences. Alors qu’elle attend pour le printemps prochain le versement des premiers dollars de dédommagement, elle a décidé de s’octroyer les services d’une société de conseils. Un quart de l’argent qu’elle pense recevoir au total, soit 300000 dollars, va être déboursé pour financer cette expertise. Un investissement assumé. La marée noire "a été un désastre pour notre côte. Imaginez, il nous a fallu trois ans et demi pour tout nettoyer, raconte Charlotte Randolph. Notre philosophie aujourd’hui est la suivante: nous ne voulons pas seulement réparer les dégâts, nous voulons aussi nous protéger au cas où il y aurait une autre catastrophe à l’avenir."