Publié le 13 juillet 2015
ENVIRONNEMENT
Taxe sur les transactions financières en Europe : pourquoi ça coince
La 3ème conférence sur le financement du développement s’ouvre aujourd’hui à Addis-Abeba, en Éthiopie. Un rendez-vous crucial à quelques mois de la COP 21. Sans réponse financière suffisamment crédible de la part des pays du Nord, difficile en effet d’envisager la signature d’un accord large et contraignant à Paris. Un signal fort serait la mise en place rapide d’une taxe sur les transactions financières (TTF), actuellement négociée par onze pays européens, et dont une partie pourrait être affectée à la lutte contre le réchauffement climatique.

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C’est un serpent de mer. Depuis 2011, et la proposition de la Commission européenne d’imposer une taxe sur les transactions financières (TTF), aucune négociation n’a jamais abouti entre les États membres de l’Union européenne. Face à cet échec, onze pays (France, Autriche, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Portugal, Grèce, Slovaquie, Estonie et Slovénie) se sont portés volontaires pour poursuivre les discussions. Mais là encore, le consensus est difficile à obtenir.
Il y a pourtant urgence à agir. À Addis-Abeba, en Éthiopie, où se tient du 13 au 16 juillet la 3ème conférence sur le financement du développement, les engagements pris par les États du Nord seront décisifs pour assurer le succès de la conférence des Objectifs de développement durable, qui aura lieu en septembre à New York. Et pour garantir ainsi un accord large et ambitieux à la Conférence climat de Paris (COP 21) en décembre.
"Sans fonds, la conférence d’Addis-Abeba et le sommet sur le climat présidé par la France seront des échecs. Michel Sapin n’a plus le choix : il doit instaurer une TTF rapportant au moins 24 milliards d’euros par an et convaincre ses partenaires européens de la consacrer à la lutte contre le changement climatique et contre les grandes pandémies", rappelle Alexandre Naulot, chargé de plaidoyer Financement du développement chez Oxfam France.
Un compromis proposé par l’Autriche
Les 11 ministres de l’économie des pays qui coopèrent sur la mise en place d’une TTF européenne se rencontrent ce mardi 14 juillet. Après des mois de tergiversations, un compromis proposé par l’Autriche sera débattu. L’Autriche qui a tendu la main à la France, en acceptant d’exempter les échanges de titres étrangers, ce qui n’avantage pas les pays ayant de petites places financières. Depuis des mois, Bercy était accusée par les ONG de ralentir les négociations en voulant à tout prix imposer cette condition. Reste à savoir si cela peut suffire à convaincre la France de signer, sans freiner les autres pays.
Selon une étude de l’Institut allemand de recherche économique publiée le 9 mars, cette exemption va priver la France d’1,2 milliard d’euros par an. L’Autriche perdrait quant à elle plus des trois quarts des recettes prévues sur les actions.
Par ailleurs, une taxe sur les transactions intrajournalières (ou trading haute fréquence) est prévue dans la proposition autrichienne. Cela peut rapporter gros, puisque ces transactions représentent entre 21 et 45 % des volumes sur les actions de la bourse de Paris, selon des estimations de l’Esma (European Securities and Markets Authority).
Une assiette large et des taux bas
Enfin, il est proposé de taxer tous les produits dérivés, à l’exception des obligations souveraines. Une mesure qui suscitait jusqu’à présent l’opposition de la France et de l’Allemagne. "BNP Paribas et Société Générale, qui figurent dans le top 3 des banques européennes les plus investies sur les produits dérivés, n’ont pas intérêt à ce que tous les produits dérivés soient taxés", explique Alexandre Naulot d’Oxfam. "Mais depuis janvier, notamment grâce à la pression des ONG, Bercy a changé de cap et se montre plus ouvert à cette taxation si elle se fait à taux très bas."
En janvier, dans une interview accordée à France Inter, le président de la République avait reformulé son souhait d’instaurer une taxe sur les transactions financières la plus large possible, d’ici 2016 ou 2017 au plus tard : "Mieux vaut prendre tous les produits de la finance avec un taux faible pour qu’il n’y ait pas de désorganisation des marchés".
C’est donc vers une assiette large et des taux bas que se dirige le groupe des 11. Au regret des associations : "C’est loin d’être satisfaisant, mais c’est quand même mieux que ce que proposait la France jusqu’à présent. Disons que c’est le strict minimum", juge Alexandre Naulot. Alors que la Commission européenne estimait les recettes d’une TTF européenne entre 30 et 35 milliards d’euros par an, et que dans un récent rapport Pascal Canfin et Alain Grandjean les estimaient à 10 milliards d’euros, l’ONG Oxfam craint qu’elles ne soient bien inférieures : "Il y a un grand flou sur les recettes car la question des taux sera débattue plus tard".
BNP Paribas assure qu’il y aura des fuites
Ce 14 juillet, les discussions porteront donc davantage sur les modalités de la taxation, comme l’avait indiqué Michel Sapin, ministre de l’Économie, à la sortie de la dernière réunion Écofin, en juin : "Je pense qu’en juillet, on aura vraiment les grandes bases qui serviront ensuite à élaborer techniquement l’accord : quels sont les principaux objets que nous voulons taxer ? Quels sont les modalités de cette taxation dans leurs grands principes ? Ces grands principes seront arrêtés au mois de juillet, ce qui permettra à chacun de juger très concrètement de ce qui pourra être fait ensuite".
Pour l’Association française des marchés financiers (Amafi), cette taxe n’est pas une bonne idée : "Une taxe mondiale, ou une taxe européenne à 28, ça se discute, mais à 11 ça ne peut pas marcher", prévient Pierre de Lauzun, délégué général de l’Amafi. "Il y aura forcément des fuites et les recettes seront très limitées."
Pour sa part, le directeur général adjoint de BNP Paribas, Alain Papiasse, a fait savoir lors des dernières rencontres Paris Europlace que tous les établissements financiers présents dans les pays qui appliqueront la taxe sur les transactions réfléchissaient à des délocalisations d'activités vers Londres, la Grande-Bretagne n'étant pas partie prenante aux négociations.
Dans le même temps, plus d’un million de personnes ont signé une pétition pour instaurer une TTF européenne solidaire. Et en décembre dernier, 140 députés français avaient adressé une lettre à Manuel Valls pour réclamer la mise en place d'une TTF musclée.