Publié le 28 septembre 2015

Cop21 le chiffre

ENVIRONNEMENT

Réchauffement climatique : "2°C", un objectif mirage

S’il y a un chiffre simple à retenir des complexes négociations internationales sur le climat (COP 21), c’est le "2°C", soit l’objectif de limitation de la hausse de la température globale d'ici 2100. Rapidement devenu le symbole de la lutte contre le réchauffement climatique, ce dénominateur commun est aussi utile politiquement que contesté scientifiquement.

2 degrés un chiffre utile politiquement mais controversé scientifiquement istock

iStock

Si les négociations climatiques sont aujourd’hui encore marquées de dissensions, tous les Etats se sont au moins mis d’accord sur un objectif commun : le maintien du réchauffement climatique sous la barre des 2°C à l'horizon 2100. Ce seuil limite s’est imposé après les deux derniers jours de difficiles négociations pendant la COP de Copenhague, en 2009.

Sur une initiative danoise, un groupe réduit à 26 délégations a formulé le vœu de limiter le réchauffement climatique en-dessous de 2° Celsius, valeur présentée comme un seuil au-dessous duquel les conséquences des changements climatiques seraient acceptables. L’objectif a ensuite été adopté à l’unanimité lors de la COP de Cancun, en 2010.

 

2°C : un objectif apparu dès 1977

 

Le premier à avoir alerté la communauté scientifique sur le danger que représentait une hausse de plus de deux degrés n’est étrangement pas climatologue mais économiste. Professeur d’économie à l’université de Yale, William Nordhaus mentionnait dans un article de 1977 ce chiffre comme une hausse critique des températures en se basant sur l’évolution des températures de ces 100 000 dernières années.

 

En 1990, le chiffre fut mentionné dans une étude scientifique de l’Organisation Météorologique Mondiale. Celle-ci concluait, avec les connaissances climatiques limitées de l’époque, que deux degrés Celsius constituait la "limite supérieure au-delà de laquelle on prévoit que de graves dommages aux écosystèmes interviennent rapidement".

La même année, l’Institut pour l'Environnement de Stockholm arrivait à la même conclusion, déclarant que ces deux degrés devraient être le "réchauffement maximal que les décideurs politiques devraient permettre". En 2005, le chiffre a été repris comme un seuil "limite" accepté d’une seule voix par les 25 chefs d’État de l’UE réunis au sein du Conseil Européen. enfin, le GIEC a intégré dans son 5ème rapport d’évaluation, publié l’an dernier, le scénario dit "RCP 2.6", développé par une équipe néerlandaise en 2011 et compatible avec cette donnée.

 

Un dénominateur commun entre 196 Parties

 

Pourquoi ce chiffre s’est-il imposé depuis six ans comme l’objectif incontesté sur lequel s’appuient diplomates et gouvernants ? Parce qu’il répond directement à une demande des décideurs de se mettre d’accord sur un objectif simple, atteignable et en accord avec la science. Les négociations multilatérales d’une COP engagent 196 parties (195 Etats + Union européenne) et presque autant d’intérêts stratégiques divergents. L’existence d’une base de négociation est dès lors essentielle afin d’estimer une trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre, de chiffrer les coûts et d’imaginer les réponses politiques à apporter au problème.

Si l’utilité politique des 2°C n’est pas en doute, sa pertinence scientifique est en revanche remise en cause très régulièrement. Pour de nombreux scientifiques, une augmentation des températures mondiales inférieure à 2 degrés n’apporte aucune garantie de sécurité. Si en 1990, cela semblait constituer une limite entre ce qui était "acceptable" et ce qui ne l’était pas, nos progrès dans la compréhension des phénomènes climatiques de ces 25 dernières années ont invalidé cette estimation.

Un récent rapport de la Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique (CCNUCC) indique que l’objectif des 2°C présente des risques majeurs pour les écosystèmes. Selon ce rapport, fruit d’un dialogue de deux ans entre plusieurs scientifiques climatiques et les négociateurs, cet objectif est "inadéquat". À 2°C, le rythme des changements climatiques "deviendrait trop rapide pour que certaines espèces puissent migrer",  la montée du niveau des océans à long terme "pourrait excéder un mètre", le réchauffement et l’acidification de ceux-ci deviendraient élevés, sans parler des risques importants qui pèseraient sur la productivité de notre production agricole.

Le rapport de la CCNUCC conclut qu’il serait préférable de "considérer le seuil des 2°C comme une limite supérieure, une ligne de défense qu’il faut défendre coûte que coûte".

 

21 ans de budget carbone restant pour ne pas dépasser les 2 °C

 

Le paradoxe de cette ligne de défense, c’est qu’elle est jugée à la fois insuffisante climatiquement et inatteignable politiquement. Les négociations officielles préparant le texte de l’accord qui doit être conclu à Paris en décembre prochain ont gardé le cadre des 2°C alors même que les contributions volontaires des États éloignent largement les chances de remplir cet objectif.

Selon le Climate Action Tracker, une ONG qui analyse les politiques des États en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les contributions actuelles nous rapprochent d’un réchauffement estimé entre 2,9° et 3,1°C, bien loin des efforts que jugent nécessaires les climatologues. Pour nombre d’entre eux, la croissance ininterrompue des émissions de ces dernières années rend très faibles les marges de manœuvre et réduit les délais dans lesquels une réduction nette des émissions doit intervenir.

Le budget carbone, c’est-à-dire la quantité de CO2 que l’on peut encore rejeter dans l’atmosphère en gardant nos chances de maîtriser le réchauffement climatique, se réduit plus rapidement que les prévisions des scientifiques. Au rythme des émissions actuelles, il reste environ 21 ans avant que ce budget carbone de 2°C ne soit dépassé et que les conséquences ne soient irréversibles.

Plus alarmiste encore, l’objectif de 1,5°C, recommandé par de nombreux scientifiques et vivement soutenu par les États insulaires menacés par la montée des eaux, deviendra inatteignable dans seulement six ans, selon les calculs de l’ONG Carbon Brief.    

Gary Dagorn
© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Climat : une semaine riche en engagements à New York

Sommet sur le développement durable, "Climate week", 70e assemblée générale de l'ONU ou encore Forum pour le secteur privé : New York a été le théâtre de plusieurs rendez-vous internationaux importants ces derniers jours. Avec à la clé une série d'engagements forts de pays comme les...

Carbon Risk : une application pour mesurer l'urgence climatique

Comment rendre concrets les impacts économiques et financiers du réchauffement climatique? C'est en essayant de répondre à cette question que notre application "Carbon Risk"est...

Txetx Etcheverry (Alternatiba) : "la bataille pour le climat se jouera dans les 5 ans à venir"

Ce week-end, le village Alternatiba prendra ses quartiers place de la République, à Paris. C’est le tout premier dans la capitale, après des dizaines d’autres organisés aux quatre coins de la France. Le but ? Présenter...

Si nous brûlons toutes les énergies fossiles, le réchauffement climatique pourrait atteindre 11°C

Que se passerait-il si l’humanité brûlait toutes ses réserves d’énergies fossiles ?  C’est à cette question que quatre chercheurs de l’Institut de Potsdam pour la Recherche sur les Impacts Climatiques ont tenté de répondre dans un

COP 21 et contributions INDC : vers un réchauffement de 3°C ?

Ressources mondiales : ce jeudi 13 août, l’humanité entame une 2ème planète

Il aura fallu 225 jours aux habitants de la planète pour consommer toutes les ressources que la Terre peut fournir en un an. À partir d’aujourd’hui, il nous faudrait consommer en partie une deuxième planète pour répondre aux besoins de consommation et pour absorber tout le CO2 émis par les...

ENVIRONNEMENT

Climat

Les alertes sur le changement climatique lancées par les scientifiques conduisent à l’organisation de sommets internationaux, à la mise en place de marché carbone en Europe mais aussi en Chine. En attendant les humains comme les entreprises doivent déjà s’adapter aux changements de climat dans de nombreuses parties du monde.

Climat istock

Giec, un modèle à bout de souffle ?

Le sixième rapport d’évaluation du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, vient d’être publié. Un évènement phare qui, au-delà du symbole, pose questions. Les rapports du Giec sont-ils trop larges et dépolitisés ? Si la nécessité d'un consensus scientifique est...

Malawi cyclone freddy AMOS GUMULIRA AFP

Le Malawi paye le plus lourd tribut au cyclone Freddy qui bat tous les records, de durée et de longueur

Le cyclone Freddy, formé début février, a fait une traversée d’est en ouest de plus de 8 000 km au-dessus de l’Océan Pacifique en six semaines. Il a frappé durement une partie de l’Afrique de l’Est effectuant même un "demi-tour" sur le Malawi où plus de 500 millions de personnes ont été frappées par...

Ouverture de la 58e session du Giec 6e rapport d evaluation 130323 IPCC Antoine Tardy

Climat : cinq questions pour tout comprendre au nouveau rapport du Giec

Du 13 au 17 mars, les scientifiques du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, sont réunis en Suisse afin d’adopter la synthèse de leur 6e rapport d’évaluation, et ainsi clore ce cycle débuté en 2015. Cette synthèse sera ensuite publiée le 20 mars et constituera le...

France tv meteo climat

Le journal de la météo et du climat : comment France 2 et France 3 réinventent le bulletin météo

Exit la vieille recette des bulletins météo sans une mention au changement climatique. Sur France 2 et France 3, le point météo devient le "journal météo climat". Une nouvelle formule qui s'inscrit dans une stratégie de transformation verte chez France Télévisions. Le journal britannique The...