Publié le 05 juin 2023
ENVIRONNEMENT
Les litiges climatiques, un risque financier avéré pour les entreprises attaquées
Quel est l'impact des litiges climatiques sur les finances des entreprises ? C'est ce qu'ont cherché à mesurer des chercheurs du Grantham Research Institute de la London School of Economics. Ils ont passé au crible une centaine de dossiers et il apparait bel et bien que les procès climatiques intentées aux entreprises ont des conséquences financières et constituent dès lors un risque que les décideurs doivent prendre en compte.

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En 2021, on comptait plus de 200 nouveaux litiges liés au changement climatique, dont environ 10% ciblent des entreprises. Si les risques juridiques mais aussi réputationnels paraissent évidents, les risques financiers eux sont moins connus. C’est pourquoi, une équipe de chercheurs du Grantham Research Institute de la London School of Economics s’est penchée sur la question. Ils concluent que les litiges climatiques présentent bien un risque financier pour les entreprises - en particulier de combustibles fossiles - car ils font baisser le cours de leur action.
"Ces résultats offrent les premières preuves solides sur le risque de litige climatique en tant que risque financier", notent les auteurs de l’étude qui appellent donc les banques, les investisseurs, les régulateurs financiers et les gouvernements à considérer ce risque dans un avenir qui se réchauffe. En moyenne, le dépôt d'une nouvelle plainte ou la publication d’une décision de justice contre une entreprise réduit sa valeur attendue de 0,41%, avec des variations selon les étapes du processus : - 0,57% en moyenne après le dépôt d'une plainte et -1,5 % après un jugement défavorable.
"Les majors du carbone sont confrontées à un risque de litige, en plus du risque de transition et du risque physique"
Si ce chiffre peut sembler modeste, il change toutefois la donne. "Nous ne savions pas auparavant si les marchés se souciaient des litiges climatiques", explique Misato Sato, auteure principale de l'étude, citée dans The Guardian. "C'est la première preuve à l'appui de ce qui était suspecté auparavant ; que les entreprises polluantes et en particulier les majors du carbone sont désormais confrontées à un risque de litige, en plus du risque de transition et du risque physique", ajoute-t-elle.
Les chercheurs ont examiné comment le marché boursier réagit à l'annonce d'une nouvelle poursuite climatique contre une entreprise ou lorsque celle-ci a perdu son procès. Pour cela, ils ont passé au crible 108 litiges entre 2005 et 2021 contre 98 sociétés cotées aux États-Unis et en Europe. Parmi elles, on trouve par exemple le Français TotalEnergies, sous le coup de plusieurs poursuites.
Ainsi, en janvier 2020, lorsqu’une quinzaine de collectivités et plusieurs ONG, dont Notre affaire à tous, Sherpa et FNE, assignent le groupe pour son inaction climatique, sa valeur en bourse chute de 1,4%. En novembre 2021, lorsque la cour d’appel de Versailles confirme la compétence du tribunal judiciaire de Nanterre pour trancher le litige, l’action de TotalEnergies perd cette fois 3,6%. Mercredi 31 mai 2023, le groupe se retrouvait devant le juge sur ce dossier. La veille, il avait perdu 3,4% de sa valeur en Bourse et encore 1,4% le jour de l’audience.
Comportement plus écologique des entreprises
Dans une autre affaire, concernant cette fois l’énergéticien RWE, attaqué par un agriculteur péruvien, Saúl Luciano Lliuya, qui demandait une indemnisation pour le rôle de l’entreprise dans le changement climatique qui menace sa maison, le géant allemand de l'énergie a chuté de 6%. Et de nouveau de 1,3% en 2017, lorsqu'une cour d'appel a autorisé la poursuite de la demande. De même, lorsqu'un tribunal de La Haye a ordonné à Shell de réduire ses émissions mondiales de 45% d'ici la fin de 2030 par rapport aux niveaux de 2019, son action a reculé de 3,8%.
Alors que les litiges climatiques vont continuer à croître, suivant la tendance à la hausse des émissions de gaz à effet de serre, dont les majors pétrolières et gazières sont les principales responsables, les auteurs espèrent que ces données mises au jour vont permettre aux décideurs de mieux orienter leurs décisions d’investissement et d’induire in fine un comportement plus écologique de la part des entreprises. Cette menace-là sera peut-être plus efficace que celle d'une éventuelle condamnation, qui paraît difficile et surtout lointaine.