Publié le 22 juin 2017

ENVIRONNEMENT

Pour la première fois, les financements aux énergies fossiles ont diminué et les banques françaises n'y sont pas pour rien

En 2016, les financements aux énergies fossiles extrêmes par les plus grandes banques mondiales ont diminué de 22 % par rapport à 2015. Une première ! Et la tendance est encore plus forte pour les banques françaises qui se sont engagées contre le charbon à l’occasion de la COP21. En revanche, leurs participations dans les infrastructures de sables bitumineux et de gaz de schiste outre-Atlantique augmentent, malgré une pression de plus en plus forte de la société civile.

Mine de charbon aux États-Unis.
Luke Sharrett / AFP

Les financements aux énergies fossiles extrêmes par les 37 plus grandes banques mondiales sont passés sous la barre des 90 milliards de dollars en 2016, selon le dernier rapport "Banking on Climate Change" (1) publié ce jeudi par Rainforest Action Network, Banktrack, le Sierra Club et Oil Change International. Ils sont passés de 111 milliards à 87 milliards de dollars, soit une baisse de 22 % sur un an. C'est la première fois que ces financements diminuent. 

"C’est une très bonne nouvelle, réagit Lucie Pinson, des Amis de la Terre. La baisse est encore plus importante pour les banques françaises (-30%, NDLR). On voit que leurs politiques ont un impact." Ce qui a pesé dans la balance c’est le recul des financements liés au charbon aussi bien pour l’extraction que pour la production d’électricité. Crédit Agricole et Société Générale les ont ainsi divisés par trois entre 2014 et 2016. Chez BNP Paribas, ils sont passés de 921 millions de dollars à 557 millions.

Plus aucun investissement direct dans le charbon…

En amont de la COP21, les trois principales banques françaises s’étaient engagées à renoncer au charbon. Elles ont renforcé leurs mesures depuis. Aucune d’entre elles ne financera plus directement de nouveau projet de mines et de centrales dans le monde. Deux exceptions cependant pour la Société Générale qui exclut les centrales dotées de système de captage et de stockage de CO2 et les centrales de cogénération (production d'électricité et de chaleur) hors des pays de l’OCDE.

Par ailleurs, BNP ne prendra plus de mandat d’achat ou de vente de centrales à charbon. "L’objectif est bien que ces centrales soient fermées et non revendues à des entreprises moins-disantes sur le plan environnemental", justifie Laurence Pessez, déléguée à la Responsabilité Sociale et Environnementale pour la banque. Société Générale, quant à elle, se fixe un seuil au-delà duquel elle n’interviendra pas non plus (30 % du chiffre d’affaires lié au charbon pour l’entreprise acquéreuse).

De son côté, Crédit Agricole qui était encore engagé dans deux projets d’extension de centrales en Indonésie avant ses annonces, vient de s’en retirer faute de réponse satisfaisante sur les exigences environnementales. "Nous ne sommes plus dans le charbon, précise Stanislas Pottier, directeur du Développement durable au sein du groupe. Il n’y a plus aucun projet en stock et il n’y en aura plus à l’avenir."

…mais des financements indirects via des entreprises

"C’est là toute l’hypocrisie des banques françaises ! Elles continuent de financer indirectement ce qu’elles refusent de financer directement, réagit Lucie Pinson. Crédit agricole continue ainsi de financer les entreprises qui sont derrière ces deux projets d’extension de centrale en Indonésie." Les banques françaises ont pris plusieurs engagements qui vont dans le bon sens sur les financements d’entreprises mais pas encore assez loin pour l’ONG.

Crédit agricole et Société Générale vont ainsi exclure tout client - actuel ou futur - dont le chiffre d’affaires est à plus de 50 % dépendant du charbon. BNP se fixe également un seuil de 50 % mais basé sur le mix énergétique de l'entreprise. La banque exclut ansi les nouveaux clients dont plus de la moitié de l'électricité est produite sur base charbon. Plusieurs experts jugent que ce critère est plus pertinent étant donné que la faible rentabilité du charbon rend le seuil de 50 % du chiffre d'affaires difficile à atteindre.

Pour ses clients actuels, la banque va analyser au fil des années leur engagement dans la transition énergétique et leurs objectifs de réduction de la part du charbon. Elle a déjà cessé de travailler avec une quarantaine d’entreprises et, si rien ne change en Pologne, elle assure qu’elle ne renouvellera pas sa collaboration avec les grands énergéticiens du pays. "Nous, nous appelons ça de la langue de bois au mieux, du greenwashing au pire. BNP Paribas a encore soutenu la semaine dernière PGG, une entreprise qui prévoit deux nouvelles mines de lignite en Pologne. Il est grand temps que cela cesse" réagit Kuba Gogolewski de l'organisation polonaise Open-Pit No, Development Yes. 

Quid des énergies fossiles non conventionnelles

Mais si elles sont en avance sur le charbon comparées à leurs homologues internationales, les banques françaises sont pour l’instant plus frileuses sur les autres énergies fossiles non conventionnelles comme les sables bitumineux, le gaz de schiste, le pétrole extrait de l’Arctique ou encore le pétrole issu de forages ultra-profonds.

"Nos politiques sont vivantes et par définition susceptibles d’évoluer en fonction des enjeux, des équilibres de marché et de ce que font nos clients, explique Stanislas Potier du Crédit agricole. On ne finance plus, par exemple, le pétrole offshore en Arctique depuis 2012, et nous allons sans doute appliquer des contraintes supplémentaires sur le pétrole dans les années à venir.

Polémique sur les pipelines et terminaux d’exportation outre-Atlantique

Face à une forte contestation, à la fois de la société civile mais aussi d’une coalition de 130 investisseurs responsables, les banques françaises ont dû faire marche arrière sur le projet Dakota Access Pipeline. Mais Crédit Agricole est encore pointé du doigt pour son soutien à Transcanada, à la tête d’un autre projet de pipeline très controversé, Keystone XL, relancé par l’administration Trump. BNP Paribas et Société Générale sont, quant à elles, sous le feu des projecteurs pour leur rôle de conseiller joué dans des projets d’exportation de gaz naturel liquéfié dans la Vallée du Rio Grande, au sud du Texas.  

"Même si le gaz est en moyenne deux fois moins polluant que le charbon, il faudra qu’on se pose la question de ces infrastructures à terme, concède Cécile Rechatin, responsable des politiques et des standards environnementaux et sociaux pour la Société Générale. Le groupe a triplé ses financements dans le gaz naturel liquéfié entre 2014 et 2016, selon le rapport "Banking on climate change". Société Générale est également critiquée pour avoir soutenu l'entrée en bourse de Kinder Morgan, "une transaction nécessaire pour son pipeline de sables bitumineux Trans Mountain, au Canada" explique Lucie Pinson.

Lors de l’Assemblée générale de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, le directeur général du groupe, a promis la mise en place de nouvelles procédures d’ici la fin de l’année sur ces sujets. "Nous n’avons pas d’intérêt à accompagner des investissements qui, du point de vue du climat, ne sont pas convenables" a-t-il déclaré. "Nous travaillons à une révision de nos politiques sur les sujets énergétiques posés aux États-Unis et au Canada notamment par les terminaux LNG, les sables bitumineux et les grands projets de pipelines", confirme Laurence Pessez.  

Concepcion Alvarez @conce1

(1) Banking on Climate Change


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