Publié le 18 juin 2015
ENVIRONNEMENT
Le Vatican se pose en acteur de la négociation climatique
Présentée aujourd’hui, l’encyclique du Pape François consacrée à l’écologie s’adresse à un public bien plus large que les seuls catholiques. C’est un appel à toutes les forces vives du monde pour prendre à bras le corps la protection de la planète, notamment dans la perspective de la Conférence onusienne sur le climat (COP 21).

Gabriel Bouys / AFP
"J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète." Avec son encyclique Laudato si (Loué sois-tu) entièrement consacrée à l’écologie, le Pape entend peser dans la diplomatie climat et les échéances décisives à venir.
Voilà pourquoi il s’adresse non pas aux seuls catholiques (qui sont déjà plus d’1,2 milliard dans le monde) mais aussi aux consommateurs, chefs d’entreprise, chefs d’État : "Le défi urgent de protéger notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer."
Un message largement partagé par les ONG et par les institutions onusiennes. Achim Steiner, secrétaire général du Pnue (Programme des Nations Unies pour l'environnement) se félicite de cet "appel sans équivoque à l'action face à la dégradation de l'environnement mondial et le changement climatique. Nous sommes la dernière génération à pouvoir éviter les pires impacts du réchauffement climatique."
Le climat, un bien commun
Très documenté, le premier chapitre fait le point sur l’état des données scientifiques en matière d’environnement, en partant du climat, considéré comme un "bien commun". Le Pape pointe les responsabilités humaines dans le réchauffement de la planète et appelle à un changement de comportement.
"L’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent ou l’accentuent. Il y a certes d’autres facteurs (…), mais de nombreuses études scientifiques signalent que la plus grande partie du réchauffement global des dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène et autres) émis surtout à cause de l’activité humaine."
Les climato-sceptiques, et leurs relais américains certes aujourd’hui moins actifs, au sein du Vatican, apprécieront…
Dégradation de la vie humaine et sociale
Puis ce sont les énergies fossiles qui sont pointées du doigt. Le changement climatique "est renforcé en particulier par le modèle de développement reposant sur l’utilisation intensive de combustibles fossiles, qui constitue le cœur du système énergétique mondial. (…) Voilà pourquoi il devient urgent et impérieux de développer des politiques pour que, les prochaines années, l’émission du dioxyde de carbone et d’autres gaz hautement polluants soit réduite drastiquement, par exemple en remplaçant l’utilisation de combustibles fossiles et en accroissant des sources d’énergie renouvelable."
Le Pape part de la question du réchauffement climatique pour élargir son propos, afin d’en expliquer les conséquences en termes de dégradation de la vie humaine et sociale, proposant ce qu’il nomme une "écologie intégrale" : "Le changement climatique est un problème global aux graves répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives et politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité. (…) Beaucoup de ceux qui détiennent plus de ressources et de pouvoir économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les problèmes ou à occulter les symptômes."
Appel de "l'un des leaders les plus influents"
Dans une veine anti-capitaliste, le pape évoque la notion de "dette écologique" des pays du Nord envers les pays du Sud, qui se cumule à une inégale redistribution des richesses. Teresa Ribera, directrice de l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et ancienne secrétaire d'État au changement climatique en Espagne, salue "l'appel moral fort" lancé par "l'un des leaders les plus influents".
"Le Pape souligne que le changement climatique n'est pas une question scientifique ou technologique, mais une menace pour la justice et la paix. Cet appel à un sens de la justice, à la nécessité d'une solidarité entre États, nous rappelle que nous ne disposons que d'une seule planète", écrit-elle dans un communiqué.
Un jugement sévère sur les récents échecs internationaux
Voilà pourquoi le Pape en appelle à une action urgente : il juge très sévèrement les échecs politiques passés. "La faiblesse de la réaction politique internationale est frappante" écrit-il. "La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement."
Le Pape pointe particulièrement l’inertie dans la mise en œuvre des accords du sommet de Rio en 1992, "sommet prophétique et novateur", notamment dans sa proposition de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Le pape exhorte au courage les décideurs notamment dans la perspective de la COP 21 de décembre à Paris. La France en attend beaucoup, Nicolas Hulot ayant tout de même fait trois voyages au Vatican dans le cadre de ses fonctions d’envoyé spécial du Président Hollande pour la préparation de ce sommet.
L’hymne à la nature et l’appel à une conversion "intégrale"
Le Pape, en guide spirituel, leur offre ainsi un supplément d’âme, appelant à une vraie conversion écologique. Une conversion qui suppose un changement d’attitudes dans une optique plus sobre et responsable : il mentionne les "bonnes pratiques" mises en place dans différents pays, tels l’assainissement de rivières polluées, la récupération de forêts autochtones…
"L’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent", précise le Pape. Une invitation au débat qu’il devrait notamment mener à l’ONU et aux États-Unis en septembre.