Publié le 26 octobre 2022

ENVIRONNEMENT

Devoir de vigilance : BNP Paribas mise en demeure pour ses soutiens aux nouveaux projets d’énergies fossiles

BNP Paribas vient d'être mise en demeure sur son soutien aux énergies fossiles. La première banque européenne est attaquée par trois ONG - Oxfam, Les Amis de la Terre et Notre affaire à tous - sur son devoir de vigilance. C'est la première pierre vers une action inédite en justice.

Financement energies fossiles petrole banque istock Leestat
BNP Paribas est le premier financeur européen et le cinquième au niveau mondial des énergies fossiles, avec 55 milliards de dollars accordés en 2016 et 2021.
@iStock / Leestat

Ce pourrait être le premier contentieux climatique au monde à mettre en cause un acteur financier. Mercredi 26 octobre 2022, trois ONG françaises – Oxfam, les Amis de la Terre et Notre affaire à tous, à l’origine pour certaines de l’Affaire du siècle – ont mis en demeure BNP Paribas de cesser de soutenir les nouveaux projets d’énergies fossiles. Elles demandent à la banque de se conformer à l’objectif inscrit dans l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici la fin du siècle. Une action inédite visant à interpeller le monde de la finance qui se réunit jeudi 27 octobre à Paris pour le Climate Finance Day (CFD).

"Cela fait plus de 30 ans que nous discutons avec les institutions financières, que nous négocions, que nous écoutons leurs promesses. Aujourd’hui, nous lançons cette mise en demeure pour dire que nous en avons assez des vaines paroles", lance Frédéric Amiel des Amis de la Terre France en introduction de la conférence de presse de lancement. Et les ONG de rappeler que BNP Paribas est le premier financeur européen et le cinquième au niveau mondial des énergies fossiles, avec 55 milliards de dollars accordés en 2016 et 2021. BNP Paribas est aussi le premier financeur mondial des huit majors pétro-gazières américaines et européennes (TotalEnergies, Chevron, ExxonMobil, Shell, BP, Eni, Repsol et Equinor).

BNP Paribas a trois mois pour répondre

Les ONG s’appuient sur la loi sur le devoir de vigilance, en vigueur depuis 2017. Celle-ci oblige les multinationales, y compris les institutions financières, à publier et mettre en œuvre un plan de vigilance afin d’identifier les risques en matière de protection de l’environnement, en se basant notamment sur les Principes directeurs de l’OCDE. Or, les ONG requérantes estiment que le plan de vigilance de BNP Paribas "n’est pas conforme aux exigences de la loi sur le devoir de vigilance, ni aux obligations de limiter les risques climatiques résultant de [ses] activités".

Parmi les manquements pointés dans la lettre de mise en demeure envoyée à Jean-Laurent Bonnafé, l'administrateur directeur général du groupe, il y a la non exclusion des nouveaux projets pétroliers et gaziers, et des entreprises qui prévoient de développer de tels projets. Dès lors, les ONG demandent à BNP Paribas de publier dans les trois mois un nouveau plan de vigilance qui prévoit l’arrêt immédiat de tout soutien financier à ces entreprises, mais aussi l’adoption d’un plan de sortie de ce secteur et la mise en place de mesures de réduction des émissions de dioxyde de carbone et de méthane sur l’ensemble des scopes (1, 2 et 3).

À défaut, elles assigneront la banque en justice, devant le tribunal judiciaire de Paris. À ce jour, une dizaine d’affaires sur le devoir de vigilance sont en cours. La plus aboutie vise TotalEnergies sur les droits humains en Ouganda avec son projet Eacop/Tilenga. La première audience aura lieu le 7 décembre prochain. Le groupe EDF a également été assigné en justice en 2020 pour son projet de parc éolien sur les terres de la communauté autochtone mexicaine d’Unión Hidalgo. Casino a été attaqué sur la déforestation. Et la fédération SUD PTT a assigné le groupe La Poste en fin d’année dernière sur la question de la sous-traitance des activités, notamment dans le colis et l’express.

Une action contre-productive ?

Être une cible de l’activisme pro-climat des ONG n’est pas une surprise pour BNP Paribas. En tant que première banque européenne opérant dans le monde entier, elle sait que sa taille l’y expose. Et que, paradoxalement, ses engagements sur le climat renforcent cette exposition, quand bien même elle les utilise pour faire pression auprès de ses clients entreprises afin qu’ils revoient leurs stratégies, que ce soit sur la déforestation au Brésil ou l’exploitation des énergies fossiles pour les compagnies pétrolières. BNP Paribas rappelle ainsi "qu’après avoir réduit à un niveau résiduel son exposition au charbon et cessé toute relation avec les spécialistes des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste), elle est aujourd’hui l’une des grandes banques mondiales ayant les objectifs les plus ambitieux de réduction des financements du pétrole".

La menace juridique des ONG pourrait dès lors être contre-productive. Le risque d’immobilisme commence en effet à monter dans les institutions financières, dont les services de conformité demandent de limiter au maximum des prises de position sur le climat à cause des risques de réputation et des risques juridiques qui en découlent. L’appel des ONG, assorti d’une campagne de pétition, incarne bien ce double risque que les entreprises redoutent. Outre-Atlantique, les banques américaines notamment sont les premières à vouloir lancer le mouvement de repli en remettant en cause leur objectif de neutralité carbone. Un mouvement similaire pourrait se dessiner au sein des banques et assurances européennes.

Très en pointe sur les engagements climat depuis 2015, elles manifestent des signes de lassitude d’être la cible du combat contre l’inaction climatique alors que les gouvernements n’envoient pas les signaux nécessaires pour réduire drastiquement les énergies fossiles et plus largement les émissions de gaz à effet de serre. Le sujet était très présent dans les assemblées générales 2020 du secteur financier, à commencer par celle de BNP Paribas perturbée par des activistes climatiques. La position des institutions financières peut se résumer ainsi : la transition énergétique doit être accélérée et financée tout en limitant le choc qu’elle représente pour l’économie et les individus, ce qui suppose de continuer à utiliser des énergies fossiles, sinon l'économie s'arrête. Selon elles, toute option plus radicale relève de choix politiques qui, en démocratie, doivent être portés par ceux qui sont élus, donc par les gouvernements.

Concepcion Alvarez @conce1 et Anne-Catherine Husson-Traore @AC_HT_ 


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