Publié le 09 septembre 2015
ENVIRONNEMENT
COP 21 : Pourquoi les négociations ont une (petite) chance d’aboutir
Un jour seulement après la fin de la session de négociations officielles de Bonn, pour préparer la Conférence onusienne sur le climat de Paris (COP 21), le ministre français des Affaires étrangères réunissait dans la capitale les représentants ministériels de 57 pays pour une nouvelle session de négociations, informelle cette fois. À l’approche de la "date butoir", on voit ainsi se multiplier les réunions avec des acteurs en dehors de la bulle habituelle des négociateurs. Le signe d’une petite révolution dans le processus des négociations onusiennes, régulièrement critiqué pour sa lenteur. Mais il doit encore se roder car ces différentes négociations restent trop souvent sur une ligne parallèle, alors qu’elles devraient davantage converger.

AFP
Accélérer le processus de négociations climatiques onusiennes. À moins de trois mois de la grande Conférence sur le climat qui se tiendra près de Paris, le message est martelé par tous les acteurs de la COP 21. Par la France - pays hôte de la conférence - bien sûr, mais aussi des personnalités de la CCNUCC (Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique) en passant par les négociateurs eux-mêmes ! C’est notamment ce que l’on a pu voir pendant la dernière session officielle de négociations, qui s’est achevée vendredi dernier à Bonn.
Les unes après les autres, les coalitions d’États ont exprimé leur frustration face à la lenteur des négociations. "Quelques progrès ont été accomplis au cours des trois premiers jours de débats, mais ils ne sont pas suffisants et la méthodologie n’est pas la bonne", a ainsi déclaré la déléguée de l’Afrique du Sud qui représente le G77, le groupe des pays en développement.
Une remise en cause du processus onusien
La critique du processus onusien n’est pas nouvelle, mais la situation devient de plus en plus urgente. Le 1er juin dernier, Ségolène Royal lançait un pavé dans le petit monde feutré des négociations climatiques. À six mois de la COP 21, la ministre de l’Environnement déclarait ainsi au Monde que "Les négociations de l’ONU sont totalement inadaptées à l’urgence climatique". Quelques mois plus tard, dans le même quotidien, le secrétaire général de l’ONU lui-même, Ban Ki-Moon, enfonçait le clou en déclarant : "Nous avons négocié et discuté sans prendre d’actions concrètes pendant vingt-trois ans (…). Les négociations climatiques avancent à une vitesse d’escargot".
Un constat également partagé par les observateurs : "L’investissement humain, financier, politique déployé autour de cette gouvernance est immense. Pourtant, une vingtaine d’années plus tard, il faut reconnaître que le bilan est très maigre, au moins en termes de réductions mondiales effectives des émissions de carbone", écrivent ainsi Stefan C. Aykut et Amy Dahan, du CNRS, dans un article d’analyse1 intitulé : "Les négociations climatiques : vingt ans d’aveuglement ?".
Un changement lent, mais inéluctable
Pourtant, le processus change. Doucement, mais il change. La technique "top-down" qui prévalait lors du Protocole de Kyoto - où c’est l’accord international qui définissait les engagements des pays développés - a laissé la place, après Copenhague à une démarche "bottom up" où les États reprennent la main. Une démarche à double tranchant, mais qui montre une ouverture de la bulle dans laquelle les négociateurs semblent enfermés.
C’est notamment le sens de l’Alliance de Paris, qui propose une sorte de package allant au-delà de l’accord international qui reste le seul fruit du travail des négociateurs. Dans ce package, on trouve les contributions nationales (les INDC) que chaque pays doit désormais produire afin d'expliquer ses engagements pour atténuer le changement climatique et en limiter les conséquences pour son pays (adaptation). On note aussi l'inclusion d’une partie "financement de l’action climatique", mais également l’Agenda des solutions, qui compile les engagements volontaires de la société civile en matière de climat, des entreprises aux collectivités locales, en passant par les investisseurs. Un moyen de connecter les négociations onusiennes à la réalité.
Son principe a été adopté lors de la dernière COP à Lima, et pourrait être officiellement reconnu dans l’accord international attendu à Paris. Ce pont entre les États, seuls habilités à négocier les accords via leurs équipes de négociateurs professionnels, et le monde économique est particulièrement prégnant pour cette Conférence des Parties (COP). Un Business & Climate Summit réunissant entreprises et investisseurs mondiaux les plus engagés s’est tenu en mai à Paris avec les interventions de personnalités onusiennes comme la secrétaire de la CCNUCC Christiana Figueres, ou le conseiller principal du secrétaire général de l’ONU sur les changements climatiques, Janos Pasztor. En amont de la COP, le gouvernement français a pour sa part instauré une nouvelle entité : le business dialogue, une instance de dialogue de haut niveau sur les négociations climatiques entre les gouvernements et le monde des entreprises.
Politisation des négociations
L’autre évolution notable, c’est la politisation progressive de la lutte contre le changement climatique. Ce sera l’une des clés de la réussite des négociations pour la COP 21 et bien au-delà. Mais elle est aujourd’hui largement insuffisante, et encore trop déconnectée des négociations elles-mêmes.
C’est notamment ce qu’ont exprimé les ministres chargés des questions climatiques des 57 pays réunis de façon informelle, en juillet et début septembre, par Laurent Fabius pour défricher le terrain et identifier "les zones de convergence possibles" et les "lignes rouges de chaque pays". Cette année, ces rencontres placées au niveau ministériel ont pris une dimension qualifiée d’ "inédite" par le ministre des Affaires étrangères français et futur président de la COP 21.
"Elles ont été saluées par tous, les ministres y voyant un excellent complément aux sessions de Bonn. L’objectif est d’arriver à Paris en ayant réalisé un travail de fond sur l’ensemble des sujets", a assuré Laurent Fabius. La prochaine rencontre aura lieu pendant la première quinzaine de novembre. Baptisée pré-COP, elle devrait cette fois réunir ministres et négociateurs. "Elle sera plus importante en nombre que les réunions ministérielles et très représentative des parties prenantes à la négociation", a complété le ministre. "Il s’agira de traiter des derniers sujets qui n’auront pas été réglés auparavant".
Mais les travaux de ces réunions informelles restent insuffisamment repris dans les discussions officielles. Et les négociations s’en ressentent. Le texte servant de base à l’accord attendu à Paris est encore truffé d’options et impossible à négocier en l’état. Lors de la dernière session informelle de septembre, les ministres ont donc appelé les deux co-présidents de l’Assemblée des négociateurs, Ahmed Djoghlaf et Daniel Reifsnyder, à prendre davantage de responsabilité pour présenter un texte clair et raccourci d’une vingtaine de pages. Ils ont ainsi implicitement reçu un mandat politique qui semblait leur faire défaut jusqu’alors.
La venue des chefs d’États au tout début des négociations devrait aussi donner cette impulsion politique qui manque tant, et fixer un cap clair aux négociateurs pour leurs deux semaines de travail à Paris lors de la COP 21 (du 30 novembre au 11 décembre). C’est ce qui avait contribué à l’échec de Copenhague. L’état d’esprit des uns et des autres - et notamment des présidents américain et chinois - a bien changé depuis lors.
C’est ce que l’on a pu entendre à New York l’an dernier lors de l’assemblée générale de l’ONU, où de nombreux chefs d’États s’étaient érigés en défenseurs du climat. C’est encore ce que l’on a pu entendre il y a quelques jours dans le discours de Barack Obama sur l’importance de la lutte contre le changement climatique. Et c’est aussi ce que l’on espère pour la prochaine rencontre entre le président Hollande et son homologue chinois Xi Jinping en novembre, où l’on annonce un appel commun sur le climat. Lors de la COP 21, il s’agira surtout de passer des intentions aux actes.
[1] Stefan C. Aykut et Amy Dahan, "Les négociations climatiques : vingt ans d’aveuglement ?", CERISCOPE Environnement, 2014.