Publié le 25 février 2015
ENVIRONNEMENT
Climat : l'Union européenne cherche à réformer son marché du carbone
C'est une réforme clé si l'Europe veut atteindre son objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Il s'agit de créer une "réserve" de quotas d'émissions de CO2 pour réguler le prix du carbone. L'enjeu : faire remonter son prix pour qu'il envoie le bon signal aux industriels. Mais entre la protection du climat et la défense de l'industrie, parlementaires européens et Etats membres sont tiraillés.

Jochen Eckel / Picture Alliance / Picture-Alliance / AFP
La réforme est vitale pour la politique européenne de lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit de réparer son principal outil: le système d'échange de quotas d'émission de CO2, le fameux ETS (ses initiales, en anglais).
Depuis 2005, il impose aux industriels européens une double obligation: réduire leurs émissions polluantes et/ou payer pour le CO2 produit. Chaque entreprise se voit attribuer un plafond annuel d'émissions, si elle le dépasse, elle doit acheter des droits d'émission à une autre entreprise qui a émis moins que son quota.
"C'est un instrument majeur puisqu'il concerne 50% des émissions de CO2 de l'UE. L'ETS doit conduire les principaux émetteurs de CO2 sur une trajectoire bas carbone. C'est le signal prix du CO2 qui doit assurer la transition énergétique du secteur industriel", explique Emilie Alberola, spécialiste du marché du carbone à la Caisse des Dépôts - Climat (CDC Climat).
Quotas : un surplus de 2 milliards
Mais le dispositif n'a pas fonctionné comme prévu.
Les émissions européennes ont bien été réduites. Moins 19% entre 2005 et 2014.
Mais le prix du carbone n'y est pas pour grand-chose. Une étude de la CDC Climat montre que les principaux facteurs de cette réduction sont le déploiement des renouvelables suivi de la crise économique.
Avec le ralentissement de l'activité industrielle, il y a eu trop de quotas en circulation et le prix du carbone s'est effondré. Après un pic à presque 30 euros la tonne en 2008, il tourne aujourd'hui entre 5 et 7 euros.
"Ces prix bas n'ont aucun effet dissuasif sur les pollueurs. Ils sont insuffisants pour générer auprès des entreprises des investissements dans les énergies renouvelables et les technologies propres en Europe", souligne Sam Van den Plas, du WWF.
"On estime qu'il y aura un surplus de quotas de 2 milliards d'ici à 2020", précise la spécialiste de la CDC Climat. D'ici à 2030, les dirigeants européens veulent garder l'ETS comme dispositif central pour atteindre le nouvel objectif de réduction de 40% des gaz à effet de serre par rapport à 1990. C'est ce que les chefs d'Etat et de gouvernement des vingt-huit ont décidé au Conseil européen d'octobre dernier.
L'UE doit donc absolument remettre sur pied son système pour qu'il envoie le bon signal prix aux industriels.
Créer une réserve avec les excédents
La Commission européenne a imaginé un mécanisme de mise en réserve de quotas excédentaires afin de mieux réguler le marché.
Il s'agit de retirer des quotas du marché du carbone quand il y a surplus et d'en réinjecter quand il y a pénurie.
La Commission a mis sur la table en janvier 2014 une proposition législative. Le texte fixe des seuils et des pourcentages pour déclencher automatiquement ce mécanisme de "réserve de stabilité".
Bras de fer sur la date de mise en oeuvre
L'objectif est de pouvoir réguler le prix du carbone à la hausse ou à la baisse. Mais dans la situation actuelle, cela signifie concrètement de le faire monter. Et pour les industriels gourmands en énergie, ce n'est pas une bonne nouvelle, surtout dans les pays consommateurs de charbon.
Autant dire que la réforme n'a pas que des amis. La principale bataille au Parlement européen et au conseil des ministres porte sur la date de mise en œuvre de la réserve.
"Si on attend l'après-2020 comme l'a proposé la Commission européenne, le prix du CO2 sera à zéro. Idéalement, le plus tôt est le mieux", analyse Emilie Alberola de la CDC Climat.
Au Parlement européen, le rapporteur conservateur belge Yvo Belet a réussi à réunir in extremis, le 24 février, une majorité avec les socialistes et les libéraux pour une mise en place anticipée de deux ans, soit au plus tard fin 2018.
Mais les conservateurs du PPE (Parti populaire européen) sont tiraillés. "Les acteurs économiques doivent bénéficier d'un climat de confiance, de stabilité, on ne peut pas changer les règles du jeu en cours de route, il faut attendre l'après-2020", défend Françoise Grossetête, au nom de la délégation française du PPE.
Les Italiens et les Polonais sont sur la même longueur d'onde. Du côté des ministres européens, le bras de fer a lieu pour l'instant en coulisse. Mais l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France poussent pour une mise en œuvre rapide, dès 2017.
La Pologne et ses voisins freinent des quatre fers, inquiets du coût supplémentaire qui pèsera sur leurs économies alimentées au charbon.
Les négociations entre les Etats membres et les eurodéputés vont commencer. Objectif: un accord dès la première lecture, soit d'ici l'été.