Publié le 07 mars 2016
ENVIRONNEMENT
Christian Thimann : "Développer des standards de transparence sur le risque climatique"
La task Force sur le climat est à pied d'oeuvre. Sous l'égide de Michael Bloomberg, ce groupe de spécialistes s'est fixé un objectif : définir le cadre dans lequel les investisseurs prennent en compte le risque climat. Christian Thimann est vice-président de cette task force. Pour celui qui est aussi directeur de la Stratégie, de la Responsabilité d’Entreprise et des Affaires Publiques du groupe AXA, réorienter la finance vers une économie bas-carbone est une tâche ardue. Mais possible. Entretien.

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Novethic : Qu’est-ce que la Task Force sur le Climat que vous avez mise en place pendant la COP21 ? A quoi sert-elle ?
Christian Thimann : Après la crise de 2008, le constat était clair : le système financier n’est pas assez orienté vers le long terme. Parmi ces sujets de long terme dont nous devons nous préoccuper, le risque climatique est un enjeu majeur. La fréquence et la gravité des catastrophes naturelles ont déjà augmenté. Cela constitue un risque pour les entreprises, le secteur public et l’économie au sens large et donc un risque pour le système financier.
Il faut distinguer deux phases depuis la crise de 2008. Entre 2008 et 2015, il s’est agi de stabiliser le système financier. La phase qui s’est ouverte en 2016 doit permettre de faire basculer l’économie réelle vers plus de soutenabilité et de croissance.
Je fais le constat d’un changement de mentalité dans la tête des régulateurs. Il faut aligner le système financier avec les besoins de la société.
Voilà pour le cadre global, celui qui a fait consensus pendant la COP21. Mais concrètement ?
Il existe aujourd’hui beaucoup de systèmes que nous sommes incapables de comparer et dont l’efficacité reste à démontrer. Dans les pays du G20, par exemple, on compte plus de 400 manières de communiquer sur la question climatique pour les investisseurs. Ce n’est pas très cohérent. La Task Force a pour mission de développer des standards de transparence sur le risque climatique.
Une forte demande des investisseurs
Du côté des investisseurs, cette demande d’harmonisation est-elle forte ?
Oui. C’est particulièrement vrai pour les investisseurs institutionnels et les investisseurs de long terme, comme les fonds de pensions ou les assureurs. Beaucoup d’entre eux réalisent désormais qu’ils doivent prendre en compte ce sujet. Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne s’agit pas pour eux de se désengager à court terme de certains secteurs, avec une exception pour le secteur du charbon, mais bien de mieux gérer les risques à moyen et long termes. Certains continueront à investir dans le pétrole, tout en se posant la question de savoir quelle est la stratégie des entreprises qui opèrent dans le secteur des énergies fossiles ou de la construction.
Vous ne cessez de parler de "long terme". Cette échéance, comment la définissez-vous ?
C’est un temps qui va bien au-delà d’un cycle économique : entre 7 et 20 ans, en fonction des situations. Les travaux de la Task Force ne doivent pas rendre le marché encore plus volatile qu’il ne l’est déjà. L’objectif n’est pas de réorienter la finance instantanément, mais de lui donner des repères pour qu’elle s’adapte graduellement.
Comment allez-vous travailler ? Quelle sera votre méthodologie ?
C’est un peu tôt pour répondre à cette question, car la Task Force débute à peine ses travaux. Nous rendrons publics nos objectifs début avril. Mais ce travail commence par une recension. Nous ne sommes pas les premiers à nous pencher sur ce thème. Il existe déjà énormément d’organismes, comme le CDP (1) ou les PRI, qui ont travaillé sur le changement du climat auquel nous sommes confrontés.
Nous avons fait le constat d’une congruence dans les différentes analyses produites. La question serait donc plus celle-ci : sur quoi choisissons-nous d’insister ? Quels standards proposons-nous ? Ce qui met au jour une autre interrogation : comment s’assurer d’une application cohérente dans les pays du G20 ?
Les économies de ces 20 pays sont très différentes entre elles. Il existe de grandes disparités – notamment entre l’Europe et l’Amérique du Nord – sur la manière dont se financent les entreprises. En Europe, au cours des dernières années, les entreprises se sont financées à 70 % via les banques. Aux États-Unis, c’est à 70 % via les marchés financiers.
Éviter le nombrilisme des marchés
Quand allez-vous publier vos premières recommandations ?
Au mois de décembre 2016. Nous prendrons le temps nécessaire, car l’enjeu est de taille. Il faut éviter que le système financier soit nombriliste. Quand on parle, par exemple, de "risques", il faut y voir autre chose que la liquidité sur le marché. Ce type de question peut être important pour les milieux boursiers, mais n’a aucun impact sur l’économie réelle, la société ou l’environnement.
Qu’attendez-vous des États, des législateurs ?
Ce qui rend la période intéressante, c’est que de nombreuses entreprises – en particulier dans le secteur de l’assurance – ont pris des engagements, alors même que rien ne les y oblige. Les États sont pour l’instant en retrait. Il n’y a que la France qui soit réellement en pointe sur la question, grâce à l’article 173 de la loi de Transition énergétique.
La France est donc un leader dans le monde sur ce sujet, certainement aussi inspirée par le succès de la COP21. C’est quand même un article qui oblige les investisseurs à dire comment ils sont exposés au risque climatique et à définir une stratégie bas-carbone. Il n’y a pas d’autre pays qui se soit doté d’un cadre juridique similaire. De nombreux gouvernements regardent attentivement l’expérience française. Espérons que celle-ci va faire avancer le débat.
Assiste-t-on à une matérialisation du risque carbone ?
Il est difficile de trancher cette question. En particulier sur le marché du pétrole. La faiblesse du prix du baril s’explique essentiellement par une offre surabondante. Cela dit, cette baisse brutale des cours interroge. Le phénomène actuel est hors-modèle, alors que ce marché et ses mécanismes sont connus et disséqués quotidiennement.
Le centre de recherche de Novethic a mis en exergue le fait que de plus en plus de grands investisseurs dans le monde prennent désormais en compte la question climatique. Pensez-vous que le mouvement va continuer à s’étendre ?
Ce mouvement est en croissance. Mais il ne progressera pas de manière uniforme. Dans le secteur des assurances, il va se généraliser, car nous sommes touchés des deux côtés du bilan. Dans notre activité d’assureur et en tant que gestionnaire d’actifs. En 2014, les conséquences des risques et événements climatiques au sens large ont coûté 1 milliard d’euros à AXA. Quant aux autres secteurs, la prise de conscience est progressive.
Y compris dans le secteur des énergies fossiles ?
Mais bien sûr. Regardez par exemple la stratégie de Total, qui a choisi de recentrer son activité sur le gaz plutôt que sur le pétrole. La part du solaire a aussi beaucoup progressé dans l’activité du groupe. C’est un signe.