Publié le 26 juin 2023

ENVIRONNEMENT

L'Arctique privé de banquise en été : "C'est l’effondrement de l'un des piliers de notre climat" selon la glaciologue Heïdi Sevestre

Une équipe de scientifiques a annoncé que l’Arctique pourrait être privé de glace de mer en été dès les années 2030, soit une dizaine d’années plus tôt que prévu. Dans le même temps, la moitié des glaciers sont condamnés et ceux de l'Himalaya fondent également à un rythme très rapide. Pour Novethic, Heïdi Sevestre, glaciologue française et auteure de "Sentinelle du climat"*, explique pourquoi il s’agit d’une très mauvaise nouvelle pour la planète, mais aussi pour l’Homme.

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La glaciologue française Heïdi Sevestre revient pour Novethic sur les conséquences de la disparition de la glace de mer en Arctique dès les années 2030.
Yann Rashid

L’Arctique pourrait connaître son premier été sans glace de mer dès la prochaine décennie, selon une nouvelle étude internationale publiée dans la revue Nature Communications le 6 juin dernier. Une disparition qui arriverait avec une dizaine d’années d’avance sur les projections du Giec, le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Et ce, "quels que soient les scénarios d’émissions" de gaz à effet de serre, préviennent les scientifiques. Pour Novethic, la glaciologue française et membre du Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique (Amap), Heïdi Sevestre, explique pourquoi cette nouvelle étude doit être "un électrochoc" pour nous pousser à agir, notamment pour "notre propre survie sur Terre".

Pourquoi cette nouvelle étude est aussi importante ?

Heïdi Sevestre : Au long de ma carrière, je n’ai jamais vu une étude aussi forte et impactante sur le climat. Concrètement, elle étudie l’avenir de la banquise en Arctique, que l’on appelle aussi "glace de mer", et comment elle va réagir au changement climatique. D’ailleurs, ces recherches montrent que l’on a déjà perdu plus de 40% de celle-ci en l’espace de 40 ans, à cause des activités humaines. Mais, le point essentiel à retenir est qu’aujourd’hui, et quoi que l'on fasse, nous aurons des étés sans banquise en Arctique dès les années 2030. Alors que cela fait des décennies que les scientifiques le crient, voire le hurlent ! Nous assistons à l’effondrement de l’un des piliers de notre climat.

Pourquoi la fonte de la banquise Arctique se révèle plus rapide que prévu ? Les experts du Giec ont-ils sous-évalués leurs projections ?

H. S. : Plus notre science s’améliore et nos connaissances avancent, plus on se rend compte que le réchauffement climatique est encore plus avancé qu’on ne le pensait. Et les changements vont même plus vite que les modèles ne les prévoyaient. C’est absolument terrible, surtout pour cette banquise d’été qui est tellement importante pour nous, et dont les conséquences vont être majeures.

Quelles vont être concrètement les répercussions de cette fonte estivale de la glace de mer ?

H. S. : La banquise, c’est avant tout le climatiseur de l’Arctique. C’est une surface blanche gigantesque (entre 10 et 14 millions de km² en 2022 selon le NSIDC, National Snow and Ice Data Center, ndlr) qui permet de renvoyer le rayonnement solaire en direction de l’espace, comme un miroir, et ainsi de garder l’Arctique froide. Surtout pendant l’été, lorsque les jours durent 24 heures et que le rayonnement solaire y est très puissant.

Cette glace de mer est également essentielle aux écosystèmes, à la faune et la flore. Beaucoup d’espèces marines ou sous-marines en dépendent. D’ailleurs, certains scientifiques la décrivent comme les récifs coraliens de l’Arctique, car un grand nombre d’espèces dépendent de ces radeaux de glaces. Et il ne faut pas oublier que cette région, c’est aussi sept millions d’habitants, dont des communautés autochtones qui utilisent la banquise pour chasser, pour pêcher et se déplacer.

Au-delà des frontières de l’Arctique, cette disparition a-t-elle impact sur le reste de la planète ?

H. S. : Tout ce qui se passe en Arctique a une influence sur le reste de la planète. Nous savons que la disparition de la banquise pendant l’été risque d’accélérer la fonte du Groenland et l’élévation du niveau des mers. Sa disparition pourrait faire monter les océans de plus de sept mètres. De même, cela pourrait emballer la fonte du pergélisol, qui, en se réchauffant libèrera du CO2 et du méthane, deux gaz à effet de serre, qui participent aussi au réchauffement de la planète.

L'extermination de cette banquise d’été se traduira en France par l’arrivée d’événements météorologiques extrêmes, tels que des vagues de chaleur ou de froid, des périodes très sèches ou à l’inverse très froides. De ce fait, notre agriculture et plus largement notre économie dépendent de ce qu’il se passe en Arctique.

Mais pourquoi est-elle aussi vitale pour l’Homme ? Notre survie est-elle véritablement liée aux banquises et aux glaciers ?

H. S. : Notre civilisation "Homo sapiens sapiens" a réellement commencé à se développer quand le climat s’est stabilisé, notamment grâce à la banquise, aux calottes polaires ou à nos glaciers de montagne. Ainsi, notre civilisation n’a jamais existé ou co-existé sans les glaciers. Et bien qu’ils soient à plus de 4 000 kilomètres de nous, ils influencent considérablement notre quotidien. Cela devrait être un enseignement très fort.

Vous dites dans votre livre : "j’ai l’espoir et la conviction que nous sauverons les glaciers et nous-mêmes". Comment faites-vous pour rester aussi optimiste alors que les mauvaises nouvelles s’accumulent ?

H. S. : Il faut s’accrocher à ce que l’on peut encore sauver. On peut se lamenter sur le fait qu’il est trop tard pour la banquise et la moitié des glaciers qui sont amenés à disparaître d’ici à la fin du siècle. Mais l’avenir de l’autre moitié des glaciers sur Terre est entre nos mains. Scientifiques, glaciologues, nous ne devons pas lâcher l’affaire afin de motiver tout le monde à passer à l’action. Cela ne sera possible que s’il y a encore l’espoir de sauver des écosystèmes et de se sauver nous-mêmes.

Comment peut-on encore sauver ces banquises et ces glaciers ?

H. S. : C’est important de passer du constat à l’action. Il faut aujourd’hui des actions concrètes, ambitieuses et à la hauteur du défi climatique qui nous attend. A titre individuel, il faut déjà s’informer et s’éduquer sur le sujet. C’est crucial.  Si nous ne comprenons pas ce qu’il se passe, pourquoi devrions-nous changer nos habitudes ? Alors n’hésitez pas à calculer votre empreinte carbone afin d’identifier vos moyens d’actions. Dans vos entreprises, vous pouvez travailler avec la RSE pour mettre des choses en place.

Et l’autre levier d’action, c’est le vote. Il faut aujourd’hui voter pour des personnes qui comprennent l’urgence absolue dans laquelle nous sommes. C’est la survie de l’humanité qui est en jeu. On ne peut plus élire des personnes qui ne parlent pas du climat, ou des actions pour limiter son réchauffement. Nous ne pouvons faire qu’une partie du chemin à titre individuel, nous avons donc besoin au bout d’un moment que nos gouvernements prennent leurs responsabilités. Car nous devons aujourd’hui à tout prix rester sous 1,5°C de réchauffement. Ce n’est pas un objectif, mais bien une limite absolue.

Propos recueillis par Blandine Garot

*"Sentinelle du climat : notre avenir dépend des glaciers, nous pouvons encore les sauver", de Heïdi Sevestre, avec la collaboration d’Isabelle Marrier, éd. Happer Collins, 19 euros.


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