Publié le 06 mars 2023

ENVIRONNEMENT

Accord historique pour protéger la haute mer : pourquoi c'était inespéré après 15 ans de négociations

Les États membres de l'ONU se sont enfin mis d'accord sur le premier traité international de protection de la haute mer. Les négociations lancées il y a une quinzaine d'années ont abouti dans la nuit de samedi à dimanche 5 mars. Le texte, qui se veut contraignant, prévoit la création d'aires marines protégées en haute mer et d'études d'impact environnemental avant toute activité. Une victoire pour la biodiversité et le climat, dans la prolongation de l'Accord de Kunming qui vise à préserver 30 % des mers et des terres d'ici 2030.

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Le nouveau traité permettra de créer des aires marines protégées dans ces eaux internationales.
@iStock

C’était un accord inespéré. Après plus de 15 ans de discussions, dont quatre années de négociations formelles, la troisième dernière session à New York a finalement été la bonne. Les États membres de l'ONU se sont mis d'accord dans la nuit de samedi à dimanche 5 mars sur le premier traité international de protection de la haute mer. Celle-ci commence là où s'arrêtent les zones économiques exclusives (ZEE) des États, et n'est donc sous la juridiction d'aucun pays. La haute-mer représente plus de 60% des océans et près de la moitié de la planète.

"C'est un jour historique pour la conservation et le signe que dans un monde divisé la protection de la nature et des personnes peut triompher sur la géopolitique", a réagi Laura Meller, de Greenpeace, dans un communiqué. L’enjeu est majeur pour la protection de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique alors que la haute mer a longtemps été ignorée et que les océans s'affaiblissent, victimes du réchauffement, des pollutions et de la surpêche.

"Victoire pour le multilatéralisme"

Le nouveau traité permettra de créer des aires marines protégées dans ces eaux internationales. Aujourd’hui, seulement 1% de la haute mer environ fait l'objet de mesures de conservation. "Les zones de haute mer protégées peuvent jouer un rôle essentiel pour renforcer la résilience face aux effets du changement climatique", a déclaré Liz Karan, de l'ONG Pew Charitable Trusts qui a qualifié cet accord de "réalisation capitale". Le texte introduit également l'obligation de réaliser des études d'impact sur l'environnement des activités envisagées en haute mer.

Enfin, les États membres ont réussi à trouver un consensus sur le partage des bénéfices des ressources marines génétiques collectées en haute mer, sujet qui a cristallisé les tensions jusqu'à la dernière minute. Les pays en développement qui n'ont pas les moyens de financer de très coûteuses expéditions et recherches se sont battus pour ne pas être exclus de l'accès aux ressources marines génétiques - qui n'appartiennent à personne - et du partage des bénéfices anticipés de leur commercialisation. 

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a félicité les délégués, saluant une "victoire pour le multilatéralisme et pour les efforts mondiaux visant à contrer les tendances destructrices qui menacent la santé des océans, aujourd'hui et pour les générations à venir". Après l’accord de Kunming à la COP15 Biodiversité en décembre, qui s'annonçait lui aussi difficile à obtenir, la coopération internationale montre qu’elle fonctionne encore sur des sujets majeurs comme l’environnement, malgré le contexte géopolitique actuel.

L'entrée en vigueur du traité peut être longue

Si le signal est fort, il reste encore du chemin avant l’entrée en vigueur de ce traité, qui a vocation à élaborer un instrument international juridiquement contraignant. Le texte va être passé au crible par les services juridiques et traduit pour être disponible dans les six langues officielles de l'ONU, avant d'être officiellement adopté lors d'une autre session. "Il n'y aura pas de réouverture ni de discussions de fond" sur ce dossier, a toutefois assuré la présidente de la conférence Rena Lee auprès des négociateurs. Il entrera ensuite en vigueur après avoir été formellement adopté, signé puis ratifié par suffisamment de pays.

Ce qui fait dire à Arnaud Gossement, l’avocat spécialiste de l’environnement, qu’il faut rester prudents. "Pour l’heure : ni le contenu, ni le statut juridique de ce texte, ni la liste des États signataires, ni le délai de ratification ne sont connus... Il avait fallu 12 ans pour que la Convention ONU sur le droit de la mer de Montego Bay signée le 10 décembre 1982 entre en vigueur en 1994", rappelle-t-il sur Twitter.

Les organisations environnementales appellent également les États à poursuivre le combat pour les océans en défendant l’interdiction ou la mise en place d’un moratoire sur l'exploitation minière en eaux profondes. La prochaine réunion de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), à Kingston (Jamaïque) du 16 au 31 mars prochain, est une étape cruciale. La pression se fait de plus en plus forte pour aller exploiter les ressources minières qui se trouvent à 4 000 mètres de profondeur et ne sont aujourd’hui pas réglementées. Le temps presse car l'AIFM doit fournir une réglementation d'ici juillet 2023.  

Concepcion Alvarez @conce1 avec AFP

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