Publié le 29 mai 2023

ENVIRONNEMENT

Réduire la production ou limiter les déchets, le dilemme du Traité contre la pollution plastique

Paris accueille à partir de ce lundi 29 mai et jusqu’à la fin de la semaine la deuxième session de négociations pour un Traité international sur les pollutions plastiques. Deux blocs s’opposent, l’un très ambitieux, soutenu par les scientifiques et les ONG, l’autre beaucoup moins allant, soutenu notamment par le lobby pétro-chimique. Sur le fond, il s'agit de savoir si le traité ne s'attaque qu'aux déchets ou aussi à la production plastique, et donc aux énergies fossiles.

Pic du plastique iceberg sac plastique mer istock
Plus d'un millier de délégués de 175 pays sont réunis du 29 mai au 2 juin pour avancer sur un traité international contraignant sur les plastiques.
iStock

"Sans aucune surprise, ça va être très compliqué", soupire Henri Bourgeois Costa, directeur des affaires publiques au sein de la Fondation Tara Océans. En tant qu’observateur spécial à l’ONU, la Fondation va être au cœur de la deuxième session de négociations qui s’ouvre ce lundi 29 mai à Paris pour toute la semaine sur le Traité international sur les pollutions plastiques. En mars 2022, l'Assemblée des Nations Unies pour l'environnement avait en effet convenu d’élaborer d’ici 2024 ce traité multilatéral qui doit être "juridiquement contraignant" pour faire face à la crise mondiale des plastiques.

Après une première session en fin d’année dernière en Uruguay - il doit y en avoir cinq au total -, qui a servi à dresser une synthèse de l’état des connaissances, il s’agit cette fois d’entrer dans le vif du sujet. "Il y a deux éléments qui doivent être tranchés : sur la gouvernance, il va falloir définir si le vote se fera à la majorité ou à l’unanimité. La deuxième option laisse peu de chances d’avoir un texte ambitieux. L’autre sujet concerne la portée du traité : est-ce qu’il vise l'ensemble du cycle de vie et s’attaque à toutes les problématiques ou bien seulement aux déchets mal gérés ?", résume le spécialiste auprès de Novethic.

Un traité qui porte seulement sur les déchets ?

Au fil des mois, les 175 pays du Comité intergouvernemental de négociation ont eu le temps d’affiner leurs positions. Deux blocs se dessinent de façon assez distincte. D’un côté, les pays d’Asie, qui assurent plus de la moitié de la production de plastique, aux premiers rangs desquels la Chine, certains grands consommateurs comme les États-Unis ou encore l’Arabie saoudite, soutenus par le lobby de la pétrochimie et du plastique. Ils défendent la mise en place de plans nationaux, laissant à chaque pays le soin de fixer ses propres objectifs, en privilégiant le recyclage et une meilleure gestion des déchets. 

De l’autre côté, il y a un groupe de 55 pays, dont l’Union européenne, réunis dans la "Coalition de haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique", conduite par le Rwanda et la Norvège. Cette coalition comprend le Canada, le Mexique, l'Australie, mais aussi plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest ou d'Amérique Latine ou encore les Emirats arabes unis. La stratégie ici est bien différente puisqu'elle vise à accorder une place prioritaire à la réduction de l'usage et de la production de plastique au moyen d'objectifs globaux inclus dans le traité.

"On comprend dès lors pourquoi le sujet est clivant. On touche là à nos modèles de société et à la question de la sobriété, mais la science est claire : nous ne mettrons jamais fin à la pollution plastique sans réduire la production de plastique", commente Henri Bourgeois Costa. "Le mandat donné invite à traiter l'ensemble du cycle de vie du plastique", rappelle également l’Iddri dans un billet sur le sujet. "D'une certaine manière, le syndrome de la Convention Climat, à savoir son impossibilité, malgré les preuves scientifiques, à intégrer la question des énergies fossiles au cœur des engagements des Parties, pourrait se retrouver dans la négociation sur les plastiques", pointent ses auteurs.

S’attaquer aux énergies fossiles

Car c'est bien là le cœur du sujet. 99 % des plastiques sont aujourd’hui fabriqués à partir de combustibles fossiles. Et les prévisions estiment que les plastiques et les produits pétrochimiques seront à l’origine de 30 % de la croissance de la demande de pétrole d’ici 2030, et de près de la moitié de la croissance de la demande de pétrole d'ici 2050. Une manne que les majors pétrolières, déjà appelées à abandonner la production d'hydrocarbures, ne veulent pas laisser échapper. "Les gouvernements devraient s'assurer que le nouveau traité s'attaque à la cause profonde de la pollution plastique, à savoir la production d’énergies fossiles", rappelle ainsi Katharina Rall, chercheuse senior auprès de la division Environnement et droits humains à Human Rights Watch.

Or, depuis la création du traité, l'industrie des fossiles fait activement pression pour l'affaiblir à la fois directement et via des groupes industriels tels que l'Association pour mettre fin aux déchets plastiques et le Conseil américain de la chimie (ACC). Le 22 mai, plus de 150 groupes de la société civile et des scientifiques du monde entier ont signé une lettre ouverte exhortant l'ONU à agir maintenant pour empêcher l'industrie des combustibles fossiles de saper les négociations.

"Les plastiques et autres produits pétrochimiques servent de bouée de sauvetage pour leur industrie en déclin, réagit dans un communiqué Delphine Lévi Alvarès, coordinatrice de la campagne mondiale #BreakFreeFromPlastic sur la pétrochimie. Nous ne pouvons pas permettre aux mêmes tactiques de ‘deny, distract, and delay’ (déni, distraction et retard) qu'ils ont utilisées dans les négociations sur le climat d'entrer dans les négociations sur les plastiques". On estime que la production plastique est aujourd’hui responsable de 3,4% des émissions globales. Celles-ci devraient quadrupler, atteignant 15% en 2050, bien plus que le secteur aérien qui focalise pourtant toute notre attention.

Concepcion Alvarez


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