Publié le 21 décembre 2016

ENVIRONNEMENT

OGM : le plus puissant outil de manipulation génétique aux mains de Monsanto

Monsanto, Bayer ou Dupont ont récemment acquis des droits pour exploiter les nouvelles techniques de modification du génome. À peine découvertes, ces biotechnologies sont utilisées pour produire des semences à une vitesse encore inégalée. Mais dans quel cadre règlementaire ? Et avec quelle évaluation des risques ? Décryptage.

Fermiers et militants de la Confédération paysanne et de Faucheurs volontaires ont manifesté le 14 décembre devant l'usine Monsanto de Trèbes, dans l'Aude.
Eric Cabanis / AFP

En septembre 2016, Monsanto a acheté la licence d’exploitation de la technique CrisPR-Cas9 au MIT (Massachusetts Institute of Technologie) et à Harvard. Avec cette biotechnologie, elle va pouvoir réécrire une partie du génome des plantes pour leur donner les caractères voulus en puisant dans ses bases de données génétiques.

"C'est une incroyable ressource pour exploiter plus largement nos banques de gènes, qui sont parmi les meilleures au monde", s'est félicité la multinationale des semences. Puissant outil de manipulation génétique, CriSP-Cas9 permet de couper et de modifier le génome avec une précision et une rapidité sans commune mesure avec la transgenèse utilisée jusqu'à présent pour les organismes génétiquement modifiés (OGM). Selon l'industrie des semences, il ne faudra que quatre ans en moyenne, contre plus de dix actuellement, pour sortir une nouvelle variété.

Plusieurs géants du secteur ont déjà acquis des droits sur CriSP. Difficile de connaître les données exactes, les politiques d'acquisition étant rarement rendues publiques. Le groupe Dupont-Pioneer a déclaré détenir soixante licences. Et l'industriel des semences annonçait en avril 2016 mettre sur le marché d'ici cinq ans un nouveau maïs développé grâce au CriSP-Cas9.

 

Des risques de modifications involontaires du génome

 

La rapidité de l'industrie à mettre en application des découvertes encore très récentes (CriSP-Cas9 a été élu découverte de l'année par le magazine Science en 2015) pose de nombreuses questions.

D'abord sur l'évaluation des risques. Les industriels et certains chercheurs s'accordent pour affirmer que ces nouvelles techniques sont beaucoup plus précises et donc beaucoup plus sûres que les premières biotechnologies. Un argument insuffisant pour d'autres, à l'instar de Yves Bertheau. Ce chercheur à l'Inra a démissionné du Haut-conseil des biotechnologies (HCB) parce qu’il estime que les risques sont mal évalués. À ses yeux, les outils de découpage de l'ADN ne sont pas maitrisés par les scientifiques et des modifications non intentionnelles du génome des plantes sont possibles (mutations involontaires, coupures de gènes au mauvais endroit).

Pour les organisations paysannes et écologiques opposées aux OGM, les semences issues de ces nouvelles techniques de sélection (new breeding technics – NBT) présentent les mêmes risques pour la santé et l'environnement que leurs prédécesseurs. Pire, la production accélérée de semences génétiquement modifiées va rendre encore plus difficile l'évaluation des impacts.

 

Bataille judiciaire sur les brevets

 

Faudra-t-il des dossiers spéciaux d'autorisation – type OGM ? Rien n’est moins sûr. Aux États-Unis, l'administration n'a pas jugé nécessaire de soumettre à une évaluation particulière la mise sur le marché du maïs CriSP de Dupont. Un chantier de refonte de toute la réglementation sur les biotechnologies a néanmoins été lancé par le gouvernement Obama.

En Europe, la position de la Commission européenne est toujours attendue. Et c'est finalement la Cour de justice européenne qui va trancher la première en 2017, après avoir été saisie par le Conseil d'État français sur le sujet.

Les semenciers font aussi pression pour utiliser ces NBT sans devoir respecter les conditions de traçabilité et d’étiquetage des OGM, évitant ainsi de faire face à l’opposition des consommateurs. Ils peuvent compter sur la difficulté de reconnaitre ces nouveaux OGM car les marqueurs utilisés pour la première génération d'OGM (et qui permettaient de les détecter) n'existent plus.

Si les NBT vont accélérer les brevets déposés sur les semences, une incertitude demeure sur les droits d'utilisation de CriSP. Une bataille judiciaire oppose en effet différents laboratoires de recherche, deux équipes différentes revendiquant chacune l'antériorité de la découverte

Magali Reinert
© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Le riz doré, la caution morale des OGM

Dans une lettre ouverte, 107 Prix Nobel accusent Greenpeace de "crime contre l'humanité". En cause, les campagnes de l'ONG contre les OGM qui empêchent en particulier la diffusion du riz doré. Destiné à réduire la malnutrition en vitamine A, le riz doré est l'étendard médiatique des...

Fusion Bayer/Monsanto : une menace pour la santé et l’environnement

L’annonce par Bayer de racheter Monsanto pour 62 milliards de dollars est une mauvaise nouvelle pour la santé et l'environnement. L'alliance des semences et de la chimie conduit à spécialiser la recherche sur des variétés tolérantes aux pesticides produits par les firmes. Et elle se...

Glyphosate : sursis de 18 mois, une opportunité pour ouvrir le débat sur les herbicides ?

La Commission européenne a enfin tranché le sort du glyphosate. L'herbicide bénéficie d'une autorisation de commercialisation prolongée de 18 mois, en attendant l'avis de l'Agence européenne des produits chimiques. Ce sursis est accordé sans les restrictions demandées par le Parlement...

Les NBT : des OGM qui ne disent pas leur nom

Les nouvelles techniques du génie génétique permettent depuis quelques années d'obtenir des plantes qui présentent les mêmes propriétés que les OGM, mais qui échappent à leur cadre règlementaire. Ce vide juridique a alerté de nombreuses associations qui réclament que le statut de ces...

Loi sur la biodiversité : avancées et reculs après l'adoption par le Sénat

La loi sur la biodiversité vient d’être adoptée en première lecture au Sénat. Pas moins de 674 amendements ont été débattus pendant cet examen. Parmi les principaux points adoptés, de...

OGM : Pas d’autorisation des importations à la carte dans l’Union européenne

Les Etats n’auront pas la possibilité d’interdire l’entrée des aliments génétiquement modifiés sur leur territoire. Les eurodéputés ont dit "non" à cette renationalisation du système d’autorisation des OGM en Europe. La réforme, mise sur la table par la Commission européenne, a suscité une...

ENVIRONNEMENT

Biodiversité

Préserver la diversité des écosystèmes est indispensable pour gérer durablement les ressources de la planète. Quelles doivent être les conditions d’utilisation de ces ressources ? Peut-on breveter des plantes et pour quels usages ? Autant de questions posées au secteur cosmétique et pharmaceutique.

Oiseaux

"Stopper l’effondrement du vivant" d'ici à 2030 : les 3 points à retenir de la Stratégie nationale biodiversité

Aires protégées, restauration de la nature, plantation d'un milliard d'arbres… Elisabeth Borne a présenté lundi 27 novembre la "Stratégie nationale biodiversité" du gouvernement. Ses objectifs : "stopper l'effondrement du vivant" et "restaurer la nature" d'ici à 2030. Un plan ambitieux qui laisse...

Pesticides tracteur champ CC0

La protection de la nature est la grande perdante du Green Deal

Après le choc de la réautorisation du glyphosate, un herbicide controversé, pour dix ans, l'Union européenne tire aussi un trait sur l'instauration d'un texte réduisant l'usage des pesticides, l'un des piliers du volet "nature" Green Deal. Celui-ci n'a eu de cesse d'être attaqué ces derniers mois,...

Green Dock à Gennevilliers Goodman

Au nord de Paris, la construction d'un entrepôt logistique qui fait deux fois la longueur du Stade de France ne passe pas

Un mastodonte. Avec ses 600 mètres de long et ses 30 mètres de haut, Greendock est un immense projet de plateforme logistique qui doit prochainement voir le jour dans le nord de Paris, afin de faciliter le transport fluvial. Mais les riverains et les défenseurs environnementaux dénonce son...

A69 Charly TRIBALLEAU / AFP

Donner des droits aux arbres : et si c’était la solution pour stopper les grands projets autoroutiers ?

Une nouvelle manifestation d'envergure contre l'autoroute A69 est prévue ce week-end dans le Tarn, bien que le gouvernement ait décidé de poursuivre le chantier "jusqu’à son terme", entraînant dans la foulée l’abattage d’arbres se trouvant sur son tracé. Et si la survie de ces arbres pouvait en...