Publié le 30 juin 2023

ENVIRONNEMENT

Effondrement du vivant : l'État condamné à réparer le préjudice écologique causé par l'usage des pesticides

C'était le premier procès sur la biodiversité. Il se conclut sur la condamnation de l'État, pour ne pas avoir respecté ses obligations de réduction de pesticides, causant un préjudice écologique. Le Tribunal administratif de Paris donne un an au gouvernement pour réparer ce préjudice et prévenir l’aggravation des dommages.

Pesticides tracteur champ CC0
Après la pollution et le climat, le gouvernement est donc désormais aussi condamné sur le terrain de la biodiversité.
@CC0

"Cette journée marque un tournant dans la lutte contre l’effondrement de la biodiversité en France", se réjouissent les associations à l’origine du recours Justice pour le vivant qui vise l’État pour manquement à ses obligations de protéger la biodiversité. Le Tribunal administratif de Paris l’a condamné jeudi 29 juin, reconnaissant le préjudice écologique lié à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. Après la pollution et le climat, le gouvernement est donc désormais aussi condamné sur le terrain de la biodiversité. 

"C’est un jugement historique", commentent les cinq ONG (Pollinis, Notre Affaire à Tous, Biodiversité sous nos pieds, l’Association pour la protection des animaux sauvages et l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières), à l’origine du recours. "La justice reconnaît pour la première fois la responsabilité de l’État dans l’effondrement du Vivant, et ses insuffisances dans l’évaluation des risques des pesticides", écrivent-elles dans un communiqué. "Il s’agit d’une première étape indispensable pour enrayer l’extinction en cours", estiment les associations qui appellent le gouvernement à "mener les transformations nécessaires rapidement". 

L’État a un an pour agir 

Dans la lignée de l’Affaire du siècle, qui avait réussi à faire condamner l’État pour son inaction climatique, ces cinq ONG avaient déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris en janvier 2022 afin de faire reconnaître la faute de l’État dans la sixième extinction de masse. Elles espéraient lui imposer de réparer le préjudice écologique causé et de réviser le processus de mise sur le marché des pesticides, dont l'usage intensif est l’une des causes du déclin de la biodiversité.

D'abord, le tribunal reconnaît bien l’existence d’un préjudice écologique "résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement".

Il retient deux fautes commises par l’État : la méconnaissance d'une part des objectifs qu’il s’était fixés en matière de réduction de l’usage de produits phytopharmaceutiques et d'autre part de l’obligation de protection des eaux souterraines. Il juge "que le préjudice écologique présente un lien direct et certain avec ces fautes". Dès lors, il ordonne au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages au plus tard d’ici le 30 juin 2024.

La France, championne des pesticides

En revanche, le tribunal n’a pas suivi la demande des ONG et les recommandations de la rapporteure publique sur le réexamen des procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. "Le résultat des études supplémentaires que pourrait exiger l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire, ndr) n’est pas connu à la date du présent jugement et il ne peut donc en être inféré avec certitude que cela aurait pour effet de modifier significativement la nature ou le nombre des produits phytopharmaceutiques mis sur le marché", pointe le jugement.

Sur ce point, les associations feront appel devant la Cour administrative d’appel de Paris, et introduiront, en parallèle, un nouveau recours devant le Conseil d’État pour obtenir la mise en œuvre de cette décision. Enfin, l’État devra verser un euro symbolique à chacune des associations requérantes au titre du préjudice moral subi.

La France reste championne des pesticides. Selon l’ONG Générations Futures, elle est dans le top 3 des pays européens qui autorisent le plus de pesticides. En termes de volume, la France est aussi le pays de l’UE qui vend le plus de pesticides, ce qui s’explique en partie par sa surface agricole. Après l’échec des deux premiers plans Écophyto, qui devaient diviser par deux l’usage des pesticides, une troisième version est attendue pour l’été. Elle sera particulièrement scrutée dans le cadre de cette affaire.


© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Après le climat, l’État attaqué en justice sur la perte de biodiversité

Cinq ONG ont déposé ce 10 janvier un recours contre l'État pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité. Elles visent la mise sur le marché de pesticides, qui nuisent à l'environnement. La procédure est calquée sur l'Affaire du siècle qui a réussi à faire condamner le...

Infographie : La consommation mondiale de pesticides a explosé de 80 % depuis les années 90

La consommation de pesticides a explosé depuis les années 90, et seulement quatre grands groupes - Syngenta, Bayer, Corteva et BASF - se partagent 70 % du marché. C'est le constat alarmant que dresse l'Atlas des pesticides. 

L’État attaqué sur la toxicité des pesticides : "Nous sommes les cobayes de l’industrie"

Nouveau recours contre l'État. Une trentaine d'organisations et 28 députés ont saisi jeudi 2 février le Conseil d'État afin d'ordonner au gouvernement de respecter la règlementation européenne en matière d'évaluation des pesticides. Celle-ci exige de prendre en compte la toxicité de...

Eau du robinet contaminée : une infographie pour comprendre les risques

Le dérivé d’un fongicide, le chlorothalonil, interdit en France depuis 2020, a été largement retrouvé dans les analyses menées par l’Anses sur l’eau du robinet. Le ministère de la Transition écologique se veut pour l’heure rassurant et indique que ces dépassements ne sont pas forcément...

ENVIRONNEMENT

Biodiversité

Préserver la diversité des écosystèmes est indispensable pour gérer durablement les ressources de la planète. Quelles doivent être les conditions d’utilisation de ces ressources ? Peut-on breveter des plantes et pour quels usages ? Autant de questions posées au secteur cosmétique et pharmaceutique.

Greve de la faim ludovic marin afp

Autoroute A69 : L'activiste en grève de la faim Thomas Brail évacué

L'activiste Thomas Brail, en grève de la faim depuis 24 jours, a été délogé de l'arbre dans lequel il campait devant le ministère de la Transition écologique à Paris. Les autorités ont justifié une "intervention de protection" au vu de l'état de santé du militant qui allait débuter une grève de la...

Greve de la faim

Grève de la faim contre l'A69 Toulouse-Castres : "Je la continuerai à l'hôpital s'il le faut"

Les opposants au projet d'autoroute A69 entre Castres et Toulouse espèrent faire plier les autorités. Ils dénoncent les impacts environnementaux mais aussi sociaux de cette nouvelle infrastructure routière qui va artificialiser plus de 300 hectares de terres et renchérir le trajet. L'un d'eux campe...

Moustique tigre James Gathany USCDCP Pixnio 01

Moustique tigre, frelon asiatique… : Le coût lié aux espèces invasives est bien plus élevé que celui des catastrophes naturelles

Les espèces exotiques envahissantes ne sont pas seulement néfastes pour la biodiversité. Elles engendrent également des coûts colossaux, bien plus élevés par exemple que ceux liés aux catastrophes naturelles. Et pourtant, elles font bien moins parler d'elles. La France n'est pas épargnée.

Tortues marines Nouvelle-Calédonie Aleh tsikhanau unsplash

Une première en France : les îles Loyauté donnent une personnalité juridique aux tortues et aux requins

C’est inédit en France. En Nouvelle-Calédonie, les îles Loyauté ont accordé un statut "d’entité naturelle juridique" à deux animaux totems de la culture Kanak, la tortue et le requin. D’autres espèces pourraient même très prochainement allonger la liste… afin de mieux protéger une biodiversité en...