Publié le 04 février 2020
ENVIRONNEMENT
Des tribunaux spécialisés pour judiciariser davantage les atteintes graves à l’environnement
Les ministres de la Justice et de la Transition écologique viennent d'annoncer la création de juridictions spécialisées afin de traiter des cas graves d'atteinte à l'environnement. Actuellement, le contentieux environnemental arrive trop peu souvent devant les tribunaux, ce qui ne permet pas de prévenir suffisamment les préjudices écologiques. Le projet de loi sera discuté au Sénat à partir du 26 février.

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Le contentieux environnemental ne représente que 1 % des condamnations pénales et 0,5 % des actions civiles. Alors que 85 % des affaires sont poursuivables, le taux de classement sans suite est plus élevé que pour la moyenne des autres délits. Et lorsque les infractions environnementales sont jugées, après de longs mois d’attente, elles donnent lieu à huit fois plus de remise de peine, à des amendes dont le montant est faible et à de très rares peines d’emprisonnement.
"Ces taux sont loin de refléter la réalité des atteintes qui sont portées quotidiennement à l’environnement et à la biodiversité", soulignent Nicole Belloubet et Élisabeth Borne. Pour lutter contre cela, les ministres de la Justice et de la Transition écologique annoncent la création de juridictions spécialisées en environnement, dans un projet de loi (1) qui sera discuté au Sénat à partir du 26 février prochain.
Fonction dissuasive et répressive
Le texte propose la création de tribunaux de l’environnement dans chacune des 36 cours d’appel que compte le territoire français. Ceux-ci jugeront des affaires pénales "d’atteintes graves ou de mise en péril de l’environnement", comme par exemple "les pollutions d’effluents ou des sols par des activités industrielles, les infractions au régime des installations classées qui dégradent l’environnement, les atteintes aux espèces ou espaces protégés, les infractions à la réglementation sur les déchets industriels, etc."
Les magistrats qui dirigeront ces enquêtes et ceux qui jugeront les affaires "seront spécialisés" afin "de raccourcir le délai de traitement de ces procédures" et de "mieux maîtriser la technicité du droit applicable", expliquent les deux ministres. Les dossiers les plus simples (décharges sauvages, infractions sur la pêche ou la chasse, permis de construire illégaux, …) continueront à être traités par les tribunaux de proximité tandis que les plus graves, causant des victimes multiples, comme l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, seront transmis aux pôles de santé publique basés à Paris et à Marseille.
"Ces tribunaux spécialisés vont permettre d’accentuer les dimensions dissuasive et répressive du droit afin de limiter les atteintes à l’environnement. Car quand il y a un procès au pénal, comme ce fut le cas par exemple dans l’affaire des braconniers du Parc des Calanques, la médiatisation permet de faire avancer cent fois plus vite le travail de prévention et de communication", explique l’avocat Sébastien Mabile, membre du comité français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) qui soutient depuis 2016 la création de juridictions spécialisées pour l’environnement.
Un plaider coupable environnemental
Pour éviter d’aller jusqu’au procès, le projet de loi crée également un plaider coupable environnemental, baptisée "convention judiciaire écologique", sur le modèle de la transaction pénale introduite par la loi Sapin 2 en matière de corruption. Les entreprises reconnaissant leur responsabilité paient une amende pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel et s’engagent à régulariser leur situation et à réparer le préjudice écologique dans un délai de trois ans.
"L’avantage est que la mise en conformité et la réparation du préjudice sont beaucoup plus rapides qu'une procédure pénale", précise Nicole Belloubet. "Aujourd'hui, les procédures sont souvent trop longues. Il s'agit de sanctionner suffisamment pour que ce soit dissuasif et d'être crédible et que chacun sache que les procédures judiciaires aboutiront", a souligné Elisabeth Borne. Les deux ministres souhaitent également développer les travaux d’intérêt général "environnement et développement durable".
Les avocats spécialistes de l’environnement Arnaud Gossement et Corinne Lepage attirent l’attention sur la question "des moyens humains et matériels". Nicole Belloubet assure que les créations de postes de magistrats nécessaires seront permises par l'augmentation du budget de la justice. La ministre se dit par ailleurs favorable à une "refonte de l’échelle des peines", en correctionnalisant certains comportements qui relèvent actuellement du domaine contraventionnel, suivant les recommandations de l’étude d’impact (2). La garde des Sceaux espère que le projet de loi pourra entrer en vigueur au 1er janvier 2021.
Concepcion Alvarez, @conce1
(1) Voir le projet de loi
(2) Voir l'étude d'impact