Publié le 26 janvier 2022
ENVIRONNEMENT
Transition agricole : encore sept années perdues
C'est de l'avis de nombreux spécialistes, le secteur le plus difficile à transformer. La preuve avec la réforme de la Politique agricole commune qui priorise le fait d'aider un maximum d'agriculteurs plutôt que de récompenser les plus vertueux en matière environnementale et inciter les autres à suivre cette voie. En France, la feuille de route déclinée de la Pac fait l'objet de nombreuses critiques, avec le sentiment d'une occasion ratée. Une fois de plus.

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Le choix, totalement assumé de la part du ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, était d’embarquer un maximum d’agriculteurs dans la nouvelle Politique agricole commune (Pac), qui s’appliquera de 2023 à 2027. Et c’est bien ce qui ressort du plan stratégique national (PSN), déclinaison française de la Pac, transmis à Bruxelles en fin d’année dernière. Chaque État-membre est tenu d’envoyer ce document à la Commission européenne qui donnera ensuite son feu vert avant son application. Ces plans doivent être conçus pour répondre aux objectifs européens d’une baisse de 55% des émissions de CO2 à l’horizon 2030 et d’une diminution par deux de l’usage des pesticides d’ici 2030, avec 25% des surfaces agricoles dédiées au bio (contre moins de 9% aujourd’hui).
Mais dans l’Hexagone, le plan stratégique national fait l’objet de nombreuses critiques face à ce que certains considèrent comme une "véritable occasion manquée". Dans une tribune adressée au président de la République le 20 décembre, une quarantaine d’étudiants en agronomie et sciences politiques de six écoles, dont AgroParisTech et Sciences-Po Lille et Paris, jugent ainsi qu’il "incarne davantage l'immobilisme qu'une volonté de changement". "Au moment d'accéder à la présidence du Conseil de l'UE, la France (...) aurait dû se positionner en tant que leader de la transition agroécologique européenne" regrettent-ils.
"L'objectif n'est pas de soutenir les agriculteurs les plus vertueux"
Le principal reproche qui est adressé à cette feuille de route censée verdir l’agriculture est son manque d’ambition sur les éco-régimes, venus remplacer le paiement vert. Ainsi, 79 % des grandes cultures y sont déjà éligibles sans rien changer, et 13 % pourront le devenir en modifiant une petite partie de leur choix de cultures. Investir dans la transition agroécologique et l'agriculture de demain "n'est possible que si vos revenus le permettent", s’est justifié le ministre. "L’objectif est donc de soutenir l’ensemble des agriculteurs et non pas les plus vertueux en matière d’environnement" tranche Mathieu Courgeau, paysan en Vendée et président de la plateforme 'Pour une autre Pac'.
Une autre critique porte sur le fait que pour toucher certaines aides, le label 'Agriculture biologique' est placé au même niveau que le label 'Haute valeur environnementale' (HVE), actuellement moins-disant mais largement mis en avant par le ministère. Ce-dernier fait valoir qu'une réforme de son cahier des charges est en cours mais elle n'a pas encore été rendue publique. "Une inconnue subsiste donc sur le gain environnemental attendu" alerte l’Autorité environnementale tout en ajoutant "que la trajectoire tracée par le futur PSN ne rejoindra pas d’ici 2030 celle de la stratégie nationale bas carbone, ni celle du plan biodiversité". "La prise en compte de la certification HVE pour les écorégimes de la PAC doit être conditionnée à une révision profonde de son cahier des charges faute de quoi, c’est l’ensemble du dispositif d’écorégime français qui se trouvera décrédibilisé" indiquait aussi l'Iddri dans une note de mars 2021.
L'agriculture biologique risque d'être freinée
"Les agriculteurs français ont toujours eu accès à des aides sans conditions, il est donc très compliqué d’introduire des critères de conditionnalité" explique Jean-Christophe Bureau, Professeur à AgroParisTech, spécialiste des politiques agricoles. "Alors que nous avions déjà perdu sept ans, nous allons en reperdre sept de plus car je ne vois pas de voie possible pour une amélioration à mi-parcours", ajoute-t-il. "Il faudrait que la Commission découvre le pot-aux-roses autour de ce label HVE, c’est en tout cas le lobbying que nous allons mener ces prochains mois" annonce Loïc Madeline, secrétaire national en charge de la réforme de la PAC à la FNAB (Fédération nationale de l’agriculture biologique).
L’éleveur polyculteur installé en bio en Normandie s’inquiète pour l’avenir de l’agriculture biologique alors que les aides au maintien à l’installation vont être supprimées. "Il y a un risque de mettre un coup de frein à l’agriculture biologique qui traverse une période de sur-régime. C’est un pari extrêmement dangereux pour l’avenir. Plus le temps passe et plus les fermes sont grandes et difficiles à transmettre et plus la Pac ne se déverse que sur un petit nombre d’agriculteurs" résume Loïc Madeline. À contre-courant, le Royaume-Uni, qui est sorti de l’Union européenne, entend remplacer la Pac par un système de subventions entièrement dédié au verdissement de l’agriculture.
Concepcion Alvarez @conce1