Publié le 30 janvier 2015

ENVIRONNEMENT

Pesticides : la France veut réduire sa consommation de 50 % d’ici… 2025

En 2013, la consommation de pesticides a augmenté de 9,2 %. Un chiffre qui démontre l’inefficacité du premier plan Écophyto. Issu du Grenelle de l’environnement, il visait à réduire de moitié la consommation de produits phytosanitaires d’ici à 2018. Un objectif repoussé vendredi 30 janvier à 2025 par Stéphane Le Foll. Mais les mesures présentées aujourd’hui par le ministre ne font pas l’unanimité ni auprès des associations environnementales, qui les jugent encore trop timides, ni auprès des syndicats agricoles, qui craignent de nouvelles charges.

"Les produits phytosanitaires sont comme une bombe à retardement." Dans une longue interview accordée ce 30 janvier au journal Libération, Stéphane Le Foll estime que la France est au pied du mur.

Comme le gouvernement de droite à l’époque du Grenelle, il souhaite réduire de 50% l’utilisation des pesticides. Mais en 2025 au lieu de 2018, comme le prévoyait initialement le premier plan Ecophyto de 2008.

En 10 ans, le nombre de fermes pionnières Ecophyto qui expérimentent des techniques sobres en pesticides (les exploitations DEPHY) devrait passer de 2 000 à 3 000. Le ministre souhaite ainsi diffuser les bonnes pratiques en la matière.

Un dispositif expérimental de certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP) sera aussi mis en place. Les distributeurs auront l’obligation de baisser de 20 % le nombre de doses utilisées. En cas de non-respect de ce quota, une sanction économique sera appliquée. Selon Stéphane Le Foll, cette sanction correspondra à la "marge nette" des distributeurs. Les entreprises les plus économes pourront en revanche revendre leurs quotas à d’autres acteurs moins vertueux.

 

Le pari de la pédagogie

 

Face aux réticences des syndicats agricoles, au premier rang duquel la FNSEA, le ministre de l’Agriculture assure cependant que "si on ne fait rien, le jour où il y aura un problème, il faudra introduire des normes draconiennes d’un coup. Tout ce que les syndicats n’aiment pas".

Pour tenter d’amadouer les géants du secteur, un objectif intermédiaire de 25% de réduction de l’utilisation de ces produits a été fixé à 2020. Pour Mathieu Orphelin, le porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot, cet objectif est parfaitement raisonnable: "selon l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), ce palier est atteignable sans modifier en profondeur les systèmes agricoles. En revanche, pour atteindre les 50%, il ne suffira pas de développer le biocontrôle (utilisation de micro-organismes comme les insectes pour protéger les plantes), les agroéquipements comme les caméras de surveillance, ou les fermes Dephy, soit le gros des mesures applicatives du nouveau plan Ecophyto".

Au titre des mesures manquantes, selon les associations environnementales: l’absence de mesure agissant sur la demande comme la promotion des produits bio locaux et des labels de qualité dans la restauration collective et le fait de ne toujours pas séparer la vente et le conseil de produits phytosanitaires.

"Il y a 15 000 salariés des chambres d’agriculture et autant de coopératives qui vont au contact des agriculteurs. Si on sépare la vente de phytos et le conseil, on perd un potentiel d’action de 15 000 personnes. Impossible. Avec notre nouveau système favorisant les services et les produits de biocontrôle, on neutralise le conflit d’intérêts", rétorque Stéphane Le Foll.

Le ministre de l'Agriculture ne dit rien non plus sur de nouvelles interdictions de nouveaux pesticides néonicotinoïdes même si le Président de la République s'était engagé à aller  "plus loin" dans l'intertiction de ces insecticides très dangereux lors de la dernière Conférence environnementale. 

 

L’an 1 de l’agroécologie

 

Pour engager une réforme en profondeur des pratiques agricoles, Stéphane Le Foll mise sur l’agroécologie. Le ministre en a fait le cap prioritaire de son action en lançant dès le début un plan agroécologique visant à "concilier performance économique et performance environnementale" et qui vient de fêter sa première année de mise en œuvre effective.

Selon un sondage commandé par le ministère et dévoilé ce 30 janvier: 45% des agriculteurs se déclarent engagés dans l’agroécologie et 13% sont prêts à le faire.

"Il y a des résistances mais le potentiel est là", estime Stéphane Le Foll dans Libération. Un logiciel permettant aux agriculteurs d’évaluer leur engagement dans l’agroécologie va d’ailleurs être lancé.

Objectif, selon le ministre: "aller à terme vers un système de certification et éviter que des groupes agroalimentaires utilisent le concept avec le risque de le dévoyer".

 

Le premier plan Ecophyto, un échec total

 

Le premier plan Ecophyto est loin d’avoir atteint ses objectifs. C’est notamment ce qui ressort du rapport du député socialiste Dominique Potier, paru fin 2014.

Le parlementaire, qui est aussi agriculteur bio, y met en lumière l’augmentation de l’utilisation des produits phytosanitaires ces dernières années. Si l’utilisation de certains pesticides parmi les plus dangereux a été interdite en 2008, notamment grâce au moratoire français sur les néonicotinoïdes comme le Cruiser, le volume global n’a en revanche pas baissé.

Il a même augmenté de 5% en moyenne entre 2009 et 2013, avec un pic à 9,2% en 2013 selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture.

Aujourd’hui encore, la France est le 1er consommateur de pesticides en Europe et le 3e au niveau mondial: 100 000 tonnes par an sont utilisées par l’agriculture pour produire notre alimentation. La tendance semble d’ailleurs loin de s’inverser, comme tend à la prouver la stratégie de la coopérative In Vivo. Le premier groupe coopératif agricole français vient en effet de se lancer dans la production de… pesticides.

 

Une catastrophe sanitaire aux effets bien connus

 

Or, depuis 3 ans, les études montrant les conséquences des pesticides sur la santé humaine, l’eau et la biodiversité se multiplient. Des résidus de pesticides ont été détectés dans 93% des cours d’eau, les populations d’abeilles ne cessent de décliner, avec une érosion des colonies de 30 à 70% selon les régions, et la qualité de l’air se dégrade.

En 2013, une étude collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) insistait également sur les risques supplémentaires liés à l’usage des pesticides.

Les agriculteurs et les riverains sont plus sujets que le reste de la population à développer des lymphomes, des leucémies ou la maladie de Parkinson.

Antonin Amado, avec Béatrice Héraud.
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