Publié le 23 mars 2022
ENVIRONNEMENT
La guerre en Ukraine relance l'agriculture productiviste en Europe
Alors que l'Ukraine exportait massivement des céréales en Afrique, la guerre rebat les cartes et menace la sécurité alimentaire de dizaines de pays. L'Europe, qui veut assumer son "rôle nourricier", a décidé de retarder des mesures phares de son Pacte vert visant à réduire les pesticides afin de "produire plus". Une stratégie très critiquée. Plusieurs voix s'élèvent pour demander plutôt une régulation des prix du blé et surtout une meilleure répartition de la production agricole. "Il y a plus qu'assez de nourriture pour alimenter le monde", affirment 450 scientifiques.

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C’est un symbole de taille. La Commission européenne, qui devait présenter le mercredi 23 mars deux textes législatifs pour mener la transition agricole verte du continent, a finalement repoussé sa présentation. En pleine guerre en Ukraine, Bruxelles a donc cédé aux sirènes de plusieurs États membres et fédérations d'agriculteurs qui lui demandaient de revoir sa copie. Deux stratégies sont concernées, celle de Farm to fork (de la fourche à la fourchette) et celle concernant le volet agricole du Green deal, ce Pacte vert censé mettre l’Europe sur les rails de la neutralité carbone en 2050.
Ces deux textes auraient permis de réduire de moitié l’usage des pesticides en Europe d’ici 2030, de diminuer de 20 % les engrais ou encore de consacrer un quart des terres à l’agriculture biologique. "Cette stratégie reposait sur un monde d’avant la guerre en Ukraine", a fait valoir Emmanuel Macron lors de son discours de présentation de son programme présidentiel. "Ses objectifs doivent être revus, l’Europe ne peut se permettre de produire moins", avait-il souligné. Plusieurs études affirment en effet que ces stratégies vertes provoqueraient une chute des rendements agricoles. Or l’Ukraine est l'un des greniers à blé de l’Europe. Elle représente 50 % des exportations mondiales d’huile de tournesol et, avec la Russie, pèse pour un tiers des exportations de blé.
"L'insécurité alimentaire mondiale n'est pas causée par une pénurie de nourriture"
La guerre en Ukraine met ainsi non seulement en péril la sécurité alimentaire du pays, mais aussi celle de nombreux pays dépendants. 47 pays importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine et de Russie, dont 27 pays plus de 50 %. Parmi eux, l’Egypte, le Congo, le Liban, la Libye ou encore la Somalie. La France, par la voix du président de la République et du ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, défend ainsi le "rôle nourricier" de l’Europe. Un argument également avancé par le principal syndicat agricole, la FNSEA, qui dénonce la "logique de décroissance" des stratégies européennes alors qu’il faut au contraire "produire plus sur notre territoire". Une rhétorique qui avait déjà été utilisée à la sortie de la seconde guerre mondiale mais qui est aujourd’hui très critiquée.
Le 18 mars, plus de 400 scientifiques ont publié un appel pour une transformation du système alimentaire. "L'insécurité alimentaire mondiale n'est pas causée par une pénurie de nourriture. Elle est causée par une répartition inégale. Il y a plus qu'assez de nourriture pour alimenter le monde, même maintenant pendant cette guerre. Cependant, les céréales sont données aux animaux, utilisées comme biocarburants ou gaspillées plutôt que de nourrir des personnes affamées", dénonce Sabine Gabrysch de PIK, l’une des autrices du rapport.
Le "produire plus" est une réponse de marché, pas de "solidarité"
Trois axes sont proposés : passer, dans les pays riches, à des régimes alimentaires moins carnés et plus sains, ce qui permettrait de flécher la production de céréales vers des individus plutôt que pour l’alimentation des bêtes ; augmenter la production de légumineuses ; et enfin réduire la dépendance aux engrais azotés. Cette dernière question est cruciale puisqu’elle est un argument de plus, pour les défenseurs d’une agriculture plus verte.
Dans un communiqué, la Confédération paysanne rappelle ainsi que les engrais de synthèse, fabriqués à partir de gaz, sont notre principale source de dépendance à la Russie. "Le "produire plus" est une réponse de marché, pas de solidarité, pour sauver un système à bout de souffle", écrit le syndicat agricole. Ce dernier appelle à un contrôle du prix des céréales pour mettre fin à la spéculation sur les denrées alimentaires. Depuis le début de l’année, le prix du blé a bondi de 40 %.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina